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Alkarama for Human Rights, 13 avril 2008

Wanis Charef El Abani, juge au tribunal de première instance de Benghazi, avait été arrêté en 1990 et détenu au secret pendant des années. Considéré comme disparu, Alkarama avait soumis le 15 octobre 2007 une communication au Comité des droits de l'homme le concernant. Il vient d'être libéré le 9 avril 2008.


M. Wanis Charef EL ABANI (AL OUERFELI), aujourd'hui âgé de soixante ans, a exercé en qualité de juge au tribunal de première instance de Benghazi pendant plusieurs années au cours desquelles il a fait l'objet de la part du ministère de la justice de plusieurs avertissements, puis de menaces de destitution pour n'avoir pas déféré aux consignes de sa tutelle à l'occasion des décisions de justice qu'il devait rendre.

Le 19 avril 1990, il est convoqué, pour des motifs disciplinaires, au siège du ministère de la justice à Tripoli et reçu par le ministre, M. Azzedine Al Hinchiri, dans son bureau.

Après lui avoir reproché son attitude contraire à celle que l'on attend de lui, le ministre lui signifie qu'il est en état d'arrestation : De fait, des membres des services de la sécurité intérieure l'arrêtent dans le bureau même du ministre, sans mandat de justice et sans qu'il ne soit informé des causes légales de cette arrestation.

Il est conduit dans un lieu secret où il fait l'objet de tortures d'une grande cruauté pendant 03 mois avant d'être conduit à la prison d'Abou Slim (Tripoli).

Toutes les démarches de sa famille, pour connaître son sort et le lieu de sa détention sont restées vaines et ce n'est qu'au mois de juin 1996 que son épouse apprendra qu'il est détenu à la prison de Abou Slim, sans pouvoir toutefois en avoir la confirmation officielle. Ayant sollicité une autorisation de visite, les autorités lui répondent qu'il n'est pas détenu.

M. El Abani est placé en isolement total dans un quartier spécial de la prison pendant les six premières années de sa détention au cours desquelles il n'a de contact qu'avec ses geôliers.

Il est cependant transféré dans une cellule collective quelques jours seulement avant les événements des 28 et 29 juin 1996 au cours desquels plusieurs centaines de détenus (plus d'un millier selon certaines sources) ont été tués par les services de la sécurité intérieure dans la prison.

Rescapé de ce massacre, il est de nouveau placé en isolement complet pendant plusieurs années, dans une cellule individuelle, toujours sans communication avec le monde extérieur ou avec les autres détenus et sans aucune visite familiale ou celle d'un avocat.

Le 19 avril 2001, 11 années après son arrestation, le procureur général militaire lui notifie officiellement et pour la première fois, l'accusation " d'avoir été en contact téléphonique avec des opposants se trouvant à l'étranger " et " de ne pas en avoir informé les autorités ".

Ce n'est que le 15 décembre 2001, à l'occasion de sa présentation devant un juge d'instruction militaire, qu'il peut, pour la première fois après onze années, parler avec son épouse, autorisée par le juge, à titre exceptionnel, à communiquer avec lui pendant un quart d'heure avant son audition.

Déféré devant le tribunal militaire, le 01/01/2002, il est condamné, à la suite d'un procès manifestement inéquitable, à une peine de treize (13) années d'emprisonnement en tout : 10 années pour " défaut de dénonciation " et 3 années pour " détention d'explosifs ", cette dernière accusation s'étant révélée pour la première fois à la lecture du jugement.

Le 13/05/2002 et sur appel du parquet militaire, la juridiction de recours, " le tribunal supérieur du peuple armé ", annule le premier jugement et renvoie l'affaire devant une autre juridiction militaire autrement composée. Celle-ci confirme le premier jugement en date du 29/09/2002.

M. El Abani finit de purger la totalité de la peine à laquelle il a été condamné le 19/04/2003. Il n'est cependant pas libéré et, après cette date, il continue à être détenu dans le même établissement pénitentiaire dans les mêmes conditions, alors que sa famille attend sa libération.

Dans le courant de l'année 2005, sa famille introduit une demande de libération devant le tribunal populaire, qui la rejette, au motif que le procureur militaire ne reconnaît pas que l'intéressé est détenu à la prison d'Abou Slim.
Ayant cependant obtenu la confirmation par plusieurs détenus libérés que M. El Abani s'y trouve toujours, sa famille constitue deux avocats pour déposer une plainte contre les responsables de l'administration pénitentiaire.

Dans l'impossibilité de déposer une plainte pénale contre des agents de l'Etat ou les services de sécurité pour enlèvement et séquestration, les avocats tentent une procédure de nature civile pour s'assurer que M. El Abani est bien encore détenu à la prison d'Abou Slim.

Ils sollicitent donc la désignation d'un expert avec pour mission de se rendre à la prison d'Abou Slim pour s'assurer de la présence de M. Al Abani dans cet établissement pénitentiaire. Mais en septembre 2006, l'administration de la prison refuse à l'expert désigné par le tribunal l'accès à la prison.

La famille de M. El Abani continue cependant à recevoir des informations selon lesquelles celui-ci est toujours détenu dans la même prison jusqu'au début du mois de janvier 2007. Au cours de ce mois, elle apprend qu'il est emmené hors de l'établissement pénitentiaire par des membres des services de la sécurité intérieure.

Il est donc de nouveau victime de disparition forcée à partir du mois de janvier 2007 puisque les autorités ne reconnaissent plus sa détention. Le parquet général a expressément déclaré qu'il ne se trouve plus détenu dans la prison d'Abou Slim mais refuse de révéler le lieu où il se trouve.

La famille n'ayant plus eu aucune nouvelle de lui et craignant pour sa vie, a alors décidé de s'adresser au Comité des droits de l'homme pour voir constater les graves violations de ses droits fondamentaux et demander des mesures urgentes de protection.

Alkarama a donc sollicité le Comité afin que ces mesures provisoires de protection soient communiquées au gouvernement libyen en urgence et que M. Al Abani soit libéré ou placé sous la protection de la loi tout en informant sa famille.

Alkarama a également sollicité, sur le fond, de voir constater par le Comité de l'ONU les nombreuses violations des droits protégés par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié par la Libye dont a été victime M. Al Abani depuis son arrestation et en particulier l'ouverture d'une enquête sur sa disparition et l'octroi d'une réparation appropriée tant à lui qu'à son épouse et ses enfants, en raison des graves préjudices moraux et matériels qu'ils ont subis.

Ces demandes avaient été transmises par le Comité au gouvernement libyen qui a enfin procédé à sa libération le 9 avril 2008, 18 ans après son arrestation.