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Dr. Abbas Aroua, membre du Conseil de la Fondation Alkarama
Madame, Monsieur,
Mon cher Maître,

Au nom de la Fondation Alkarama pour les droits de l'homme, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d'avoir accepté de partager avec nous ce soir le bonheur d'honorer une personnalité qui nous est chère.

Des dizaines de prix sont décernés chaque année à travers le monde pour reconnaitre les efforts des défenseurs des libertés et récompenser leur action.

Cependant, le besoin s'est fait sentir d'une distinction spécifique au monde arabe, cette région du monde qui abrite plus de 300 millions d'âmes et où des hommes et des femmes exceptionnels se battent courageusement, prenant souvent des risques considérables, pour resituer à leurs concitoyens leur dignité et leurs droits fondamentaux dont ils sont privés par le fait de l'absence, dans la plupart de ces pays, d'un Etat de droit.

C'est pourquoi notre organisation a institué le prix « Alkarama Award » pour les défenseurs des droits de l'homme. Alkarama voulant dire dignité en arabe, il s'agit donc, littéralement, du prix pour la dignité humaine.

Ce prix sera décerné chaque année, à l'occasion de la journée mondiale des droits de l'homme, pour honorer une personnalité ou une organisation ayant contribué significativement à la protection et la promotion des droits de l'homme dans le monde arabe.

Cette distinction sera décernée pour la première fois cette année à Maître Abdennour Ali-Yahia, fondateur et président d'honneur de la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme, et doyen des défenseurs des droits de l'homme dans le monde arabe, pour l'ensemble de son œuvre en matière de droits de la personne humaine en Algérie, une cause dont il a fait le combat de sa vie.

Il y a quelques années, j'évoquais Maître Abdennour Ali-Yahia avec un ami. Nous nous demandions comment il a su conserver cette jeunesse débordante, cette énergie inépuisable et ce dynamisme constant qui fait envier beaucoup d'entre nous.

Nous sommes arrivés à conclure que c'est parce que yhabb al-haqq. Parce qu'il aime al-haqq, un de ces termes arabes concis qui ramasse en quelques lettres les concepts de vérité, de justice et de droiture.

En effet, la passion pour la justice et la vérité entretient et conserve le corps et l'âme, car elle préserve de la déchéance morale. C'est un antidote qui protège contre les maladies du cœur et de l'esprit.

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« En effet, la passion pour la justice et la vérité entretient et conserve le corps et l'âme, car elle préserve de la déchéance morale. »

Mon cher Maître,

J'ai eu plusieurs fois l'occasion de voir cette passion à l'œuvre. Non seulement comment elle se reflète sur votre visage, sur vos yeux et sur votre voix, mais à quel point elle affecte vos interlocuteurs et les audiences auxquelles vous vous adressez, et comment elle les transforme.

Ce fut le cas en janvier 1993, lorsque j'ai eu l'honneur de vous rencontrer pour la première fois. Vous étiez venu à Genève une année après le coup d'Etat du 11 janvier 1992, pour exposer à l'opinion publique, le bilan déjà désastreux de cette aventure, et lui révéler l'ampleur de la politique des arrestations arbitraires, de la déportation en masse vers les camps d'internement du Sud, et surtout celle du fléau de la torture érigée en système de gestion de l'opposition politique. Vous étiez la première voix entendue à crier votre colère contre ces pratiques.

Certains vous ont alors sévèrement critiqué de défendre des victimes dites « islamistes », comme si leurs opinions politiques les excluaient du domaine de l'humain. Ceci ne vous a point affecté, car vous n'aviez rien à vous reprocher. Vous défendiez l'homme et la femme et non son projet politique quelle que soit sa nature.

D'ailleurs, vous l'aviez déjà fait auparavant en faveur de victimes épousant d'autres sensibilités politiques et idéologiques, allant de l'extrême gauche à l'extrême droite, dont certaines ont eu, par la suite, la discourtoisie de critiquer votre approche.

Mon cher Maître,

J'ai eu le bonheur de vous retrouver à Rome en novembre 1994 et en janvier 1995, lors des rencontres organisées par la Communauté de Sant'Egidio. Ces rencontres qui ont réuni les principales forces politiques du pays, en vue de discuter du conflit algérien, ont abouti à la signature de la plateforme du Contrat national. Le respect unanime qu'avaient les participants pour vous a fait que vous avez été désigné président et porte-parole de ces rencontres.

Au début de l'année 1995, le peuple algérien comptait parmi ses enfants 25 à 30 milles victimes. Le Contrat national, s'il avait été accepté par le pouvoir algérien, aurait pu épargner au pays 200 milles victimes et tant de massacres, de tortures, d'exils, de destructions, de désolations et de souffrances. Hélas, ce pouvoir s'est montré d'un autisme politique aigu en traitant cette initiative de paix de « non événement » et en la rejetant « globalement et dans le détail ».

Là aussi, vos détracteurs habituels ont critiqué votre participation à Sant'Egidio qui serait, selon eux, un acte politique et non une action de droits de l'homme. Ils ont oublié, ou ignoré, que dans un conflit, la situation politique, la situation humanitaire et celle des droits de l'homme sont étroitement liées, interagissant et s'affectant mutuellement. Par conséquent, contribuer à résoudre un conflit politique, c'est contribuer à améliorer la situation des droits de l'homme. Ils ont peut-être confondu action politique et action partisane, ce que vous vous êtes toujours refusé d'entreprendre.

Mon cher Maître,

J'ai eu au cours des années suivantes plusieurs occasions de vous revoir en Europe, notamment à Londres et à Genève. Discuter avec vous est toujours un plaisir enrichissant dans les domaines de la politique, du droit et des droits de l'homme.

Vous êtes un politique, au sens noble du terme, sans tomber dans le piège de la boulitique - avec un « b », comme aimait à l'écrire le défunt penseur algérien Malik Bennabi - c'est-à-dire l'approche politicienne étroite et marécageuse de la politique.

Vous êtes aussi un juriste reconnu, sans tomber dans le piège du juridisme. Je me souviendrai toujours de votre rappel à l'ordre adressé en 1999 lors d'une réunion au siège du CICR à un ami et éminent juriste algérien qui s'était empêtré dans les méandres du juridisme, alors que le but de notre délégation était simplement d'alerter cette instance internationale sur la situation inhumaine dans les lieux de détention en Algérie.

Vous êtes un fervent défenseur des droits de l'homme et de la dignité humaine, sans tomber dans le piège de la bureaucratie droits-de-l'hommiste. Je retiendrai toujours vos critiques pertinentes à l'endroit de certaines personnalités et organisations des droits de l'homme, aux attitudes corporatistes, ou paternalistes, voire néocolonialistes, quand elles approchent les pays du Sud, comme s'il s'agissait d'un marché de plus servant à écouler un produit occidental appelé « droits de l'homme », reléguant les peuples de ces pays au statut de consommateurs et leur déniant leur contribution multiséculaire en la matière.

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« Vous êtes un véritable Amazigh, c'est-à-dire un homme libre, épris de liberté, et qui lutte pour libérer son peuple et lui restituer une existence digne et une vie décente. »

Mon cher Maître,

En suivant votre parcours, qui va être illustré par le court métrage que nous allons voir tout de suite, on se rend compte que votre vie est structurée essentiellement autour du thème de la liberté.

Votre mobilisation à 22 ans contre le régime de Vichy. Votre débarquement avec les troupes alliées à St-Tropez et la blessure que vous avez subie lors de cette opération. Votre adhésion très tôt au mouvement national algérien. Votre arrestation et votre détention de près de quatre ans durant la guerre de libération dans divers camps d'internement, puis votre expulsion d'Algérie par le régime colonialiste. Vos oppositions aux dérives du régime liberticide qui a pris le pouvoir à l'indépendance de l'Algérie. Votre démission de protestation du gouvernement de Boumediene. Vos détentions successives dans les années 1980 à cause de vos activités en matière des droits de l'homme, notamment la constitution de la Ligue algérienne des droits de l'homme. Vos positions face aux dérives du pouvoir dans les années 1990 et 2000. Tout cela indique une chose.

Vous êtes un véritable Amazigh, c'est-à-dire un homme libre, épris de liberté, et qui lutte pour libérer son peuple et lui restituer une existence digne et une vie décente. Et c'est pour cela que les Algériens vous aiment.

Mon cher Maître,
Da Abdennour,

Votre anniversaire est au mois prochain incha-Allah. Permettez-moi dès maintenant de vous présenter mes meilleurs vœux.

Pour continuer votre combat honorable, je vous souhaite une bonne santé, tel le genévrier, cet arbre, qui n'est pas de Genève, mais symbole de votre village natal Taka, et qui malgré la pauvreté du sol et la sécheresse du climat, peut vivre plus de mille ans, tout en gardant sa parure verte toute l'année.

Je vous souhaite une longue vie, au service du peuple algérien, indiquant la voie à suivre pour l'émancipation, et montrant l'exemple à des générations de vos concitoyens et les inspirant pour mener à bien le combat de la liberté et de la dignité.

Merci de votre aimable attention.