Aller au contenu principal
Alkarama s'est récemment rendue dans les régions de Wadi Khaled et d'Akkar, au nord du Liban, où de nombreux Syriens se sont réfugiés depuis le début des manifestations. Cette visite nous a permis de récolter des informations sur les violations des droits de l'homme en Syrie dont ont témoigné ou souffert ces personnes. Pour des raisons de sécurité, leur identité ne peut pas être dévoilée.
Depuis la mi-mai, ce sont plus de 6000 Syriens qui ont été contraints de fuir leurs domiciles et de se réfugier au nord du Liban. Plusieurs d'entre eux ont fait un compte-rendu détaillé de la situation en Syrie, et notamment à Talkalakh dans le gouvernorat de Homs. Ils ont fait état d'arrestations perpétrées par l'armée, les services de sécurité et les membres d'Al-Shabeehah (les forces armées irrégulières), ainsi que d'actes de vandalisme, d'arrestations et d'exécutions commis par les autorités. La situation actuelle compromet l'accès aux services de santé: les hôpitaux ne sont plus des lieux sûrs pour les blessés qui risquent d' y être maltraités.

Début des soulèvements à Talkalakh
Le premier juin 2011, M. M.D nous racontait les débuts des manifestations : « la révolution a commencé à Deraa le 15 mars 2011. C'est après le siège de Deraa, le 25 mars 2011, qu'une première manifestation de solidarité avec les victimes de Deraa a été organisée de manière quasi-spontanée par les différentes mosquées de Talkalakh. Environ 1000 personnes y ont participé." Puis il revient sur les causes du soulèvement: "c'est plus d'un demi-siècle d'injustices et d'oppression qui s'est cristallisé dans les rues syriennes. Prenez la réforme agraire par exemple: les terres ont été saisies et redistribuées selon le groupe d'appartenance religieuse. Puis, dans les années 1970, le président Hafez Al-Assad est arrivé au pouvoir. Il est l'origine du massacre de Hama dans les années 1980 et a ordonné des milliers d'arrestations sous couvert de la législations sur l'état d'urgence."

Le même jour, M. O.G racontait que le peuple syrien a commencé à manifester pour "demander la libération de prisonniers et obtenir des informations sur plus de 500 personnes enlevées et toujours disparues à ce jour. Les autorités ont libéré environ 40 personnes, mais ont arrêté de nombreuses personnes dans les villes. Parmi elles, des avocats, des docteurs et des ingénieurs dont les maisons ont été perquisitionnées et saisies par les autorités. En rapportant les événements, les médias syriens ont complètement déformé la réalité et ont présenté les personnes arrêtées comme des terroristes."

M. M.K. quant à lui nous rapporte: « environ 180 hommes suspectés de contrebande sont détenus au secret mais la plupart d'entre eux ont été arrêtés au cours des dernières années. C'est une des raisons pour lesquelles les habitants de Talkalakh sont sortis dans la rue début mars. Ce n'est qu'après, le 19 avril, qu'ils ont commencé à demander la chute du régime, trois semaines après le début des premières manifestations ».

Le rôle des forces armées régulières et irrégulières
« Avant les événements, début 2010, les agents des services de renseignement de l'armée de l'air avaient mené une opération, sous prétexte de lutter contre la corruption et la contrebande, et au cours de laquelle des centaines de personnes avaient été arrêtées. Les arrestations perpétrées au cours des dernières manifestations ont commencé le 13 mai 2011, le « vendredi de la liberté ». Par la suite, l'armée a consolidé sa présence dans les lieux de contestation, jusqu'à posséder une division et un régiment, environ 244 véhicules militaires comprenant des tanks, des transports blindés pour les troupes, etc. En renfort, la Shabeebah et des forces armées de la sécurité militaire, la sécurité politique, la sécurité d'Etat et la Shabeehah ont été déployées. Même s'ils portaient tous le même uniforme militaire, nous avons réussi à les distinguer par leurs chaussures», explique M. M.D.

Quant aux crimes commis par les Shabbebah, les milices armées contrôlées par le régime, M. M.Kh et M. A.J, deux réfugiés syriens rencontrés le 18 mai 2011, racontent: « ces forces irrégulières et non-officielles arrêtent des civils, surtout des jeunes, et tuent les manifestants en leur tirant dessus depuis les toits des immeubles, des hôpitaux et même des mosquées ».

Ils ont également ajouté que la Shabeehah a « persécuté ceux qui s'apprêtaient à fuir au Liban pour les empêcher de rejoindre la frontière, de peur que la vérité des faits ne soit révélée ».

La majorité des témoins auxquels Alkarama a parlé nous confirme ces dires :« lorsque la Shabeehah poursuit des civils et des réfugiés, il est clair que leur intention n'est pas de les avertir, mais de les blesser et de les tuer ».
M. M.D déclarait également qu'environ 23 personnes de la Shabeehah se trouvaient sur les toits de l'hôpital national à Talkalakh, de l'école de commerce et de la mosquée d'Uthman bin ‘Affan, où étaient érigées des barricades pour les snipers. Selon les témoignages des survivants, la majorité des victimes a été tuée par des snipers.

Les centres de détentions
Alkarama a recueilli des informations relativement détaillées sur les centres de détention auprès des nombreuses personnes détenues suite aux manifestations.

M. A.J témoigne: « les parcs publics, les commissariats de police et même les écoles sont utilisés comme centres de détention. Par exemple, à Talkalakh, juste à côté de Homs, un poste de la police de circulation situé sur la route principale est utilisé comme centre de détention. Des douzaines de détenus y sont incarcérés pour de courtes périodes, avant d'être transférés à la prison des services de renseignement militaires à Homs, où la majorité des manifestants de Homs sont actuellement détenus».

Violations commises à Talkalakh
Alkarama a recueilli des témoignages qui ont confirmé l'exécution secrète de douzaines de détenus à Talkalakh. L'état des corps traduit la barbarie avec laquelle les exécutions ont été menées. M. A.J a donné les noms de nombreuses victimes : « Mohammad Al Jabori (18 ans) , Mohammad Majed Akari (40 ans), Montaser Akari (37 ans), Ahmad Sandil (18 ans), Mohammad Adarzi (22 ans), Mohamed Ali Akromi (43 ans), Khaled Akromi (50 ans), Ismail Da Douch (30 ans) et Suleiman Da Douch (17 ans)».

M. M.D a cité les noms d'autres victimes détenues puis exécutées : « Ali Bacha, Mustapha Al Hamadi, Majed Al Kurdi, Suadat Al Kurdi, Ahmad Abu Labdi, Abdul Rahman Abu Labdi, Ahmad Sandid, Abdu Al Gafar Al Zaabi, Kifah Haider, les avocats Ahmad Hamchou, Mohammad Haloum, Abou Rayd Al Khatib, Gazi Mastou et Ramez Meskal ».

Les hôpitaux pris pour cibles
La population de Talkalakh souffre du manque d'accès aux services de santé. Des témoins nous ont rapporté que la Shabeehah et la milice pro-gouvernementale ont investi les hôpitaux nationaux à Talkalakh et les ont transformés en centres de détention et d'exécutions.

M. M.D affirme: «de nombreux hôpitaux sont occupés par les services de sécurité et la Shabeehah». En plus d'utiliser les toits de ces hôpitaux pour tirer, ajoute-t-il, « les corps qui sont gardés à l'hôpital sont mis dans des boîtes réfrigérantes sans électricité. Certains des corps sont jetés dans la rue pour qu'on ne se doute pas qu'ils ont été tués à l'hôpital ».

M. M.D rapporte: "personne n'ose amener les blessés à l'hôpital malgré leur grand nombre, car les hôpitaux sont devenus des pièges où les blessés se font tuer (...) Il n'y a aucune sécurité à l'hôpital, même lorsque la milice Shabeeha ne s'y trouve pas ». Et d'ajouter: « les médicaments manquent dans les pharmacies, comme le vaccin antitétanique. Les autorités ont évacué les médecins de l'hôpital national de Talkalakh et il y a environ 23 snipers de la milice Shabeehah sur le toit de cet hôpital ».


Situation actuelle
M. M.D rapporte: « à présent à Talkalakh, les gens ne quittent pas leurs maisons ». La population se trouve sous la coupe du blocus et reste isolée du reste du monde. Les gens ne veulent pas s'enfuir de peur d'être tués. Ceux qui ont résisté à Talkalakh refusent de quitter leurs maisons, car ils savent que s'ils partent, ils ne pourront plus revenir. Les gens risquent leurs vies et personne ne sait comment la situation va évoluer. Environ 95% de la population de Talkalakh est partie et la boulangerie n'existe plus car elle a été bombardée. Les habitants des villes avoisinantes leur amènent du pain et des fleurs. M. M.D. ajoute: « Le marché aux légumes est fermé, et les bombardements de la Shabeehah visent même les réservoirs d'eau pour créer une pénurie. Les communications et l'électricité ont été coupées. Il est clair que ce genre d'actions sont menées dans le but de réprimer la population de Talkalakh.

Ces informations, relayées par les témoins que nous avons pu rencontrer, traduisent les violences perpétrées contre de la population syrienne.

Alkarama a soumis de nombreuses plaintes individuelles ou collectives aux organes onusiens des droits de l'homme.

Nous avons également communiqué les informations relayées par les témoins que nous avons pu contactés à la Commission d'enquête de l'ONU établie par la Résolution du Conseil des droits de l'homme A/HRC/RES/S-16/1 du 29 mai 2011 pour "enquêter sur les violations présumées des droits de l'homme en Libye, d'établir les faits et les circonstances de telles violations et des crimes commis, et, là où c'est possible, identifier ceux qui sont responsables afin que ces individus puissent rendre des comptes".

Alkarama appelle les autorités syriennes à respecter leurs obligations en matière de droit international des droits de l'homme et de droit humanitaire, à mettre un terme immédiatement à toutes ces violations et à l'usage excessif de la force à l'encontre des manifestants pacifiques. Nous exhortons aussi les autorités à ouvrir des enquêtes sur les exécutions commises et à libérer immédiatement toutes les personnes détenues.