Suite à l’examen de l’Algérie par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies (Comité DH), durant lequel Alkarama a soulevé les problématiques importantes dans son rapport, le Comité DH a rendu ses conclusions et recommandations aujourd’hui. Lors d’un dialogue contradictoire qui s’est tenu les 4 et 5 juillet 2018 à Genève, la délégation algérienne a eu l’opportunité de présenter le point de vue du gouvernement et de répondre aux questions des experts du Comité.
L’examen auquel l’Etat algérien a été soumis couvre les dix dernières années, le gouvernement ayant soumis son rapport avec six ans de retard. Dans son rapport, Alkarama avait focalisé son analyse sur le déni du droit à la vérité et à la justice des familles de disparus et les obstacles posés par la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, l’exclusion des camps de Tindouf de la juridiction de l’Etat, la persistance de la détention arbitraire et des violations aux libertés fondamentales ainsi que sur l’absence d’indépendance de la justice et du Conseil National des droits de l’homme.
Le déni du droit à la vérité et à la justice des familles de disparus
Le Comité DH s’est dit préoccupé par « l’ampleur du phénomène des disparitions forcées dans l’Etat partie dans le cadre du conflit des années 90 », déplorant en particulier « l’absence de recours efficace » pour leurs familles et « l’absence de mesures prises en vue de faire la lumière sur les disparus, de les localiser et, en cas de décès de restituer leurs dépouilles aux familles ».
Les experts ont particulièrement insisté sur « l’absence d’enquêtes efficaces et indépendantes suite à la découverte de fosses communes qui n’ont entraîné « aucune réaction des autorités publiques ». Ils ont ainsi appelé les autorités à « garantir l’accès à la vérité des familles de victimes notamment en organisant l’exhumation tombes sous X et des fosses communes et en procédant à l’identification des restes par des procédés scientifiques, y compris l’analyse ADN », et de « concrétiser au plus tôt l’invitation adressée en décembre 2013 au Groupe de travail sur les disparitions forcées ».
Durant les échanges avec la délégation officielle, plusieurs membres du Comité ont soulevé les problèmes inhérents à la Charte pour la paix et la réconciliation nationale et notamment son article 45 qui exonère de toute responsabilité les membres des forces de sécurité de l’État des crimes commis durant cette période. Le Comité avait souligné que cette amnistie instaurait un climat d’impunité contraire aux normes les plus fondamentales du droit international, notamment l’obligation d’enquêter et de poursuivre les crimes les plus graves dont les exécutions, la torture et les disparitions forcées.
Le Comité a ainsi demandé aux autorités de s’assurer que la Charte ne constitue plus un obstacle aux droits des familles, notamment en amendant son article 45 « pour préciser sa non-application aux graves violations des droits de l’homme telles que la torture, le meurtre, la disparition forcée et l’enlèvement » et de « s’assurer qu’aucun responsable de grave violation des droits de l’homme ne se voit accorder une grâce, commutation, remise de peine ou extinction de l’action publique ».
Le refus de coopération du gouvernement algérien avec le Comité
Alkarama avait souligné qu’en dépit de plus de trente décisions du Comité suite à des plaintes individuelles de familles de victimes de disparitions et d’exécution, l’Etat persiste à refuser de répondre à ces plaintes. Le Comité s’est inquiété de cette absence coopération et regretté le refus des autorités de mettre en œuvre de ses décisions. Il a ainsi invité « de manière urgente » l’État à coopérer de bonne foi avec le lui en répondant de manière spécifique aux allégations de chaque plaignant.
Le problème du refus de coopération des autorités avec le Comité onusien a fait l’objet d’autant plus d’attention que ce dernier a également exprimé ses graves préoccupations quant au harcèlement policier et judiciaire ou de représailles à l’encontre des plaignants et de leurs familles. Il a appelé l’État à cesser ces représailles faisant notamment référence au cas de Rafik Belamrania, qui a été condamné en appel à une année de prison ferme après avoir publié sur les réseaux sociaux la décision du Comité reconnaissant la responsabilité des forces armées algériennes dans l’exécution extrajudiciaire de son père en 1995.
L’Algérie est tenue de protéger les droits des réfugiés sahraouis installés sur son territoire
Le Comité a relevé que l’Etat partie avait failli à son obligation de garantir à tous les individus sur l’ensemble de son territoire le respect des dispositions du Pacte, en transférant certaines de ses compétences, notamment juridictionnelles, au Front Polisario, dans les camps de réfugiés de Tindouf. Alkarama avait soulevé ce problème dans son rapport et notamment le cas de d’Ahmed Khalil Mahmoud Braih, un haut-responsable du Polisario enlevé et détenu au secret par les autorités algériennes depuis janvier 2009 et dont la famille, restée depuis sans nouvelle, est privée de tout recours devant les tribunaux algériens du fait de leur statut de réfugié sahraoui.
Les experts ont ainsi demandé à l’Etat d’assurer la liberté et la sécurité des personnes ainsi que l’accès à ses tribunaux pour toute personne se trouvant sur son territoire, y compris dans les camps de Tindouf.
Le problème persistant de la détention arbitraire
Le Comité a soulevé un cas important de détention arbitraires soumis par Alkarama : celui de Djameleddine Laskri, condamné à mort à la suite d’un procès inéquitable et en détention arbitraire depuis 26 ans. Le Comité s’est inquiété du fait que les autorités n’ont pris aucune mesure pour le libérer en dépit des demandes répétées d’autres organes onusiens et demandé sa libération inconditionnelle.
Les experts ont également attiré l’attention de la délégation algérienne sur certaines dispositions du droit algérien qui facilitent ces détentions arbitraires notamment de la loi anti-terroriste ainsi que l’absence de certaines garanties fondamentales dans le code de procédure pénale. Les experts ont ainsi demandé à l’Etat de limiter les délais de garde à vue à 48 heures en tous cas et d’assurer l’accès libre et confidentiel à un avocat pour tout détenu.
De plus, le Comité s’est dit préoccupé par l’acceptation des aveux obtenus sous la torture dans le cadre de procédures pénales par les juges, malgré l’obligation de ces derniers de rejeter toute déclaration obtenue sous la contrainte. Le Comité a ainsi demandé à l’Etat de « garantir l’interdiction des aveux forcés et déclarer l’irrecevabilité des éléments de preuve entachés de torture devant toutes les juridictions ».
De sérieuses entraves à l’exercice des droits fondamentaux
Le Comité a exprimé sa profonde préoccupation quant aux nombreuses restrictions posées par la loi organique n° 12-05 qui régule l'exercice du droit à l'information et à la liberté de la presse. Il a réitéré « ses préoccupations quant aux articles 96, 144,144 bis, 144 bis 2, 146, 296 et 298 du code pénal qui continuent de criminaliser ou de rendre passibles d’amendes des activités liées à l’exercice de la liberté d’expression, telles que la diffamation ou l’outrage aux fonctionnaires ou institutions de l’État ». Durant l’examen, les membres du Comité ont notamment insisté sur les cas de Hassan Bouras, Mohamed Tamalt, et de Merzoug Touati. Le Comité a ainsi demandé à l’État de réviser l’ensemble de ces dispositions pour assurer le respect de la liberté d’expression, de libérer toute personne condamnée sur ce fondement et de leur accorder une réparation intégrale.
Les experts ont également souligné que l‘article 46 de la Charte induit un climat d’autocensure et a appelé l’Etat à abroger cette disposition qui « porte atteinte à la liberté d’expression et au droit de toute personne d’avoir accès à un recours effectif contre des violations des droits de l’homme, tant au niveau national qu’au niveau international ». Ils ont ajouté que la liberté d’expression est également restreinte par l’utilisation de l’article 87 bis du Code pénal incriminant l’apologie du terrorisme soulignant que cette disposition criminalise également des actes relevant de la liberté d’opinion, d’expression et de rassemblement pacifique.
Si le Comité a noté la levée de l’état d’urgence, il a toutefois relevé qu’en pratique cette mesure n’avait pas eu d’effet positif sur le droit de réunion pacifique. En effet les experts ont affirmé que non seulement la loi n°91-19 du 2 décembre 1991 relative aux réunions et manifestations publiques contient de nombreuses restrictions mais également que le décret non publié du 18 juin 2001, imposant une interdiction de manifester dans la capitale faisait en réalité l’objet d’une application généralisée à l’ensemble du territoire. De plus, le Comité s’est dit préoccupé par les cas de brutalités policières et de poursuites à l’encontre des manifestants.
Le Comité a ainsi demandé à l’État de réviser la loi n°91-19 afin de lever toutes les restrictions indues aux manifestations pacifiques, d’abroger le décret du 18 juin 2001 et de garantir que les manifestants ne fassent pas l’objet d’usage excessif de la force, ni de poursuites.
Enfin, le Comité a relevé les nombreuses restrictions à la liberté d’association. D’une part la loi n°12-06 du 12 janvier 2012 relative aux associations contient selon les experts des « dispositions limitatives » qui « soumettent l’objet et le but des associations à des principes généraux vagues et peu précis ». D’autre part, le refus de l’administration d’accepter d’enregistrer les associations et syndicats indépendants démontre le contrôle du pouvoir exécutif dans ce domaine. Le Comité a ainsi demandé aux autorités de réviser la loi de 2012 relative aux associations et de permettre aux associations et syndicats indépendants de se former et de fonctionner, sans ingérences de l’exécutif.
Le manque d’indépendance de la justice et du Conseil national des droits de l’homme
Le Comité s’est déclaré préoccupé par « l’insuffisance des garanties d’indépendance du pouvoir judiciaire et du rôle prééminent du pouvoir exécutif dans son organisation », notamment car le Conseil Supérieur de la Magistrature demeure sous le contrôle du Président de la République. Les experts ont ainsi pressé les autorités de « garantir la nomination indépendante des magistrats du siège et du parquet sur la base de critères objectifs et transparents permettant d’apprécier les qualités des candidats, conformément aux exigences d’aptitude, de compétence et de respectabilité».
Enfin, le Comité a pris note de la décision récente de la sous-commission de l’Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l’homme (GANHRI) de ne pas reconnaitre le CNDH comme indépendant en lui octroyant un statut B. Les experts ont fait écho aux préoccupations du Sous-comité d’accréditation demandant à l’État d’assurer l’indépendance réelle des membres du CNDH vis-à-vis du gouvernement.
Les prochaines étapes
La mise en œuvre des recommandations du Comité des droits de l'homme par l’Algérie devra être suivie avec attention par les membres de la société civile nationale et internationale. A cet effet, le Comité a demandé aux autorités d’assurer une large diffusion de ses conclusions et recommandations afin de sensibiliser les autorités judiciaires, législatives et administratives, la société civile, les organisations non gouvernementales et le grand public.
Il faut noter que le Comité a demandé à l’État de l’informer dans le délai d'un an sur les mesures prises concernant trois problématiques qu’il a jugé prioritaires à savoir le droit à la vérité et à la justice des familles de disparus, le traitement des réfugiés, demandeurs d’asile et migrants et enfin le droit à la liberté de réunion pacifique. Pour ce qui concerne les autres recommandations, l’État devra soumettre un rapport faisant le point sur les avancées dans chaque domaine dans un délai de quatre ans.
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