Le 4 février 2022, Alkarama a soumis au Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire la situation de l’ex-ministre des Affaires Étrangères, M. Ibrahim Ahmed Abdelaziz Ghandour et du leader du Parti de l'État de droit et du Développement, M. Mohamed Ali Abdalla Al Jazouli, arbitrairement arrêtés en 2020 par les services de sécurité dirigés par le chef de l'armée, le lieutenant-général Abdel Fattah Al Burhan.
Les arrestations et détentions arbitraires au Soudan se sont multipliées depuis le renversement du président Omar Al Bachir et la mise en place d’un Conseil militaire de transition dirigé Abdel Fattah Al Burhan. Si ce dernier avait annoncé que des élections seraient organisées après une période de transition de trois ans, il a décrété, le 25 octobre dernier, l’état d’urgence. Le général a alors annoncé la dissolution des autorités de transition.
Depuis lors, le Soudan est en proie à une crise politique aiguë. Les manifestations pacifiques de la population appelant à la levée immédiate de l'état d'urgence et l'annulation de toutes les mesures d’exception sont violemment réprimées par l'armée. Ces derniers mois, le pays a été marqué par de nouvelles restrictions des libertés individuelles et collectives et par une vague d'arrestations de personnalités politiques et de la société civile.
1. Arrestation et détention de M. Ibrahim Ahmed Abdelaziz GHANDOUR
M. Ghandour a été arrêté le 29 juin 2020, à son domicile par les forces de sécurité affiliées au « Conseil » dirigé par le commandant de l'armée, le Lieutenant-Général Abdel-Fattah Al-Burhan. Après l’avoir arrêté sans mandat et sans lui avoir notifié les raisons de son arrestation, les forces de sécurité l’ont emmené au siège de la police à Khartoum.
Après plusieurs jours de détention au secret, il a été autorisé à contacter ses proches pour les informer de sa détention. Il a cependant dû attendre plusieurs mois avant d’être autorisé à recevoir des visites de sa famille et de son avocat. En octobre 2020, il a été transféré à la prison de Kober à Bahri (Khartoum), prison connue pour détenir des prisonniers d'opinion et des opposants politiques. A une date indéterminée, il a été transféré de nouveau au siège des services de renseignement à Shandi Park (Khartoum) où il est actuellement détenu. Ce n’est que plusieurs semaines après son arrestation que M. Ghandour a été brièvement informé qu'il était accusé dl’« atteinte à l'ordre constitutionnel ».
Après son arrestation, sa famille, ainsi que celles d’autres détenus politiques soudanais, ont organisé des veillées et des conférences de presse pour appeler les autorités militaires à libérer les détenus politiques, ou du moins à les traduire devant la justice.
Le 30 octobre 2021, en l'absence de toute charge officielle, le procureur général de Khartoum, sollicité par les familles des victimes, a rendu une décision de libération concernant plusieurs personnalités arbitrairement arrêtées, parmi lesquelles M. Ghandour, suite à quoi le commandant de l'armée a révoqué le magistrat et en a nommé un nouveau qui a immédiatement validé une décision de détention.
En réaction à leur privation arbitraire de liberté, de nombreux détenus politiques, dont M. Ghandour, ont entamé une grève de la faim pour exiger le jugement de leur affaire sans plus attendre.
2. L'arrestation et la détention de M. Mohamed Ali Abdalla AL JAZOULI
Le 14 juillet 2020, M. Al Jazouli a été arrêté devant son domicile par plusieurs membres des forces de sécurité en tenue civile et lourdement armés, sans mandat et sans qu’il ne lui soit notifiées les raisons de son arrestation ; il a été emmené au siège des services de renseignement à Khartoum.
Après une semaine de détention au secret, il a été autorisé à informer ses proches de son arrestation sans pouvoir toutefois leur communiquer son lieu de détention. Pendant ce temps, sa famille a essayé, en vain, de se renseigner sur son sort auprès de la police, des services militaires et des services de renseignements.
Finalement, deux mois plus tard, les services de renseignement ont reconnu sa détention. Le 8 décembre 2020, il a été transféré à la prison d'Al Huda (Khartoum) où il a été interrogé par des membres des services de renseignement, sans la présence de son avocat. Ce n’est que près d’une année plus tard qu’un avocat a pu lui rendre visite et déposé une demande contestant la légalité de sa détention qui a cependant été rejetée. Aujourd’hui, M. Al Jazouli est toujours en prison sans aucune procédure judiciaire.
En l’absence de tout fondement juridique à sa détention, M. Al Jazouli a également fait l’objet le 30 octobre 2021 de la même décision de libération prise par le procureur général de Khartoum qui a été invalidée par le chef de l’armée. En protestation, il a engagé une grève de la faim à l’instar des autres détenus politiques.
3. Le Groupe de travail de l’ONU saisi par Alkarama
Le 4 février 2021, Alkarama s’est adressé au Groupe de travail sur la détention arbitraire aux motifs que l’arrestation et la détention de MM. Ghandour et Al Jazouli, sont contraires à la législation interne et aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ratifié par le Soudan le 18 mars 1986.
En effet, les deux victimes ont été arrêtées en l’absence de toute base juridique, en violation flagrante de l’article 9 du PIDCP. Les services de sécurité les ont arrêtés sans mandat de justice et sans leur préciser les motifs de leur arrestation, violant ainsi le droit des victimes d’être informées des raisons et de la base légale de leur arrestation.
Après leur arrestation, ils ont été placés en détention au secret et il leur a été interdit de contacter leur famille pour les informer en violation flagrante de l'article 83 (5) de la loi de procédure pénale de 1991 et de l'Ensemble de Principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement, qui dispose que les individus, lors de leur arrestation, ont le droit d'informer des tiers.
En plus de ne pas avoir été informés des charges contre eux, ils ont été privés de leur droit de rencontrer un avocat, en violation de l'article 83 (3) de la loi de procédure pénale de 1991.
Par ailleurs, les deux victimes qui sont des personnalités politiques connues avaient exprimé pacifiquement leurs opinions sur les réseaux sociaux. Dans l'un de ces tweets M. Al Jazouli, avait mis en garde contre l'ingérence des Emirats arabes unis dans la révolution soudanaise et déclaré que toute exclusion politique risquait de prolonger le règne des militaires.
Il est probable que la seule raison pour laquelle les deux hommes ont été arrêtés est celle d’avoir exprimé pacifiquement leurs opinions dans le cadre de leur droit à la liberté d'opinion et d'expression garantie par l'article 19 du Pacte.
Enfin, depuis leur arrestation aucune des victimes n'a été traduite dans les plus brefs délais devant un juge en violation grave de leur droit à un procès équitable et à une procédure régulière tel que garanti par l'article 14 du Pacte.
Selon la jurisprudence constante du Comité des droits de l'homme de l’ONU, 48 heures sont généralement suffisantes pour transporter l'individu et préparer l'audience judiciaire et que tout délai supérieur à 48 heures doit rester absolument exceptionnel et justifié par les circonstances. Cependant, pour l’heure, aucune des victimes n’a été traduite devant un juge.
Alkarama a donc appelé le Groupe de travail à constater que la privation de liberté de MM. Ghandour et Al Jazouli sont arbitraires et en violation tant des dispositions légales internes que des articles 9, 14, 19 et 20 du Pacte international relatifs aux droits civils et politiques et à enjoindre à l’État partie de prendre immédiatement les mesures nécessaires pour remédier à cette situation en les libérant sans délai.