Le Comité contre la torture de l’ONU (CAT) a formulé plusieurs recommandations en vue de l’amélioration de la situation des droits de l’homme aux Émirats arabes unis (EAU) à l’issue de son examen initial lors de la 74ème session qui s’est tenue à Genève entre le 13 juillet et 14 juillet 2022. Il s’agit de son premier examen par le CAT depuis la ratification de la Convention en 2012.
Composé de dix experts indépendants, le CAT surveille la mise en œuvre par les États parties de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants par le biais d’examens périodiques.
Dans ce contexte, Alkarama avait soumis son rapport alternatif et avait attiré l’attention du Comité sur la gravité de la situation des droits de l'homme dans le pays, exprimé ses principales préoccupations et formulé des recommandations.
Définition et criminalisation de la torture
Dans ses observations finales, le CAT a tout d’abord noté les lacunes du système législatif émirati quant à l’interdiction de la torture tel qu’Alkarama les avaient exprimées dans son rapport. Le Comité a relevé que la définition de l’interdiction consacrée en droit interne est incompatible avec celle retenue dans la Convention en ce qu’elle exclut une partie importante de cette dernière. Il a ainsi été recommandé à l’État partie de définir et de criminaliser la torture en établissant une interdiction à caractère absolue et indérogeable et qui tienne compte de la gravité du crime de torture.
La violation des garanties procédurales
Bien que des garanties procédurales soient prévues par la loi émiratie, celles-ci sont dans la pratique ignorées par les autorités du pays à toutes les étapes de la procédure, ont affirmé les experts du Comité qui ont ainsi recommandé aux EAU de veiller au respect de l’ensemble des garanties fondamentales dès le début de la garde à vue et de s’assurer que chaque personne placée en garde à vue puisse bénéficier des protections consacrées dans la loi.
La loi antiterroriste et les détentions dans les centres « Munasaha »
Alkarama avait également évoqué les problématiques soulevées par la loi antiterroriste de 2014 qui fournit une liste non exhaustive extrêmement large et imprécise de la notion de « terrorisme » ce qui élargit considérablement son champ d'application pour inclure différents actes ou pratiques qui n'atteignent pas le seuil des « crimes les plus graves » au sens du droit international. Les experts ont, en ce sens, invité l’État partie à « veiller à ce que ces mesures et sa législation antiterroristes soient conformes aux interdictions de la Convention contre la torture et les mauvais traitements ».
En outre, Alkarama avait précisé que l’article 40 de la loi antiterroriste dispose que, par réquisition du procureur, le tribunal peut déterminer l’envoi d’une personne qui « semble représenter » une « menace terroriste » aux centres de « Munasaha » (centres de « conseils » ou de « réhabilitation morale »).
Hormis la formulation ambiguë de l’article, celui-ci ne prévoit aucune limitation quant à la durée de la détention dans de tels centres de sorte que la personne continue d’y être retenue jusqu'à ce que les autorités estiment qu’elle ne constitue plus une menace.
Les experts qui ont fait part de leurs inquiétudes quant à l'utilisation de ces centres « pour prolonger indéfiniment l'incarcération de personnes condamnées considérées comme ayant des idées terroristes (…) » ont souligné la nécessité pour les détentions dans ces centres d’être « basées sur des critères clairs et identifiables établis par la loi, que les ordres de détention soient limités dans le temps, que les périodes maximales de détention dans les centres de Munasaha soient clairement définies par la loi, et que les détenus aient la possibilité de contester la légalité de leur détention. »
Allégations de torture et coopération avec les mécanismes de l’ONU
Le Comité s’est également penché sur la question des mauvais traitements en s’intéressant particulièrement à la situation des « défenseurs des droits de l'homme et des personnes accusées d'infractions contre la sécurité de l'État qui, en raison des accusations de sécurité de l'État ou de terrorisme portées contre elles, sont soumises à un régime juridique comportant des garanties procédurales moins nombreuses et plus restrictives. »
Dans son rapport au Comité, Alkarama avait rapporté plusieurs cas de défenseurs arrêtés sous prétexte de terrorisme et soumis à des tortures en vue de leur extorquer des aveux utilisés par la suite pour les condamner.
Parmi eux, M. Mohamad Ismat Mohamad Shaker Az ou encore M. Ahmad Ali Mekkaoui, dont les cas avaient également été intégrés dans le rapport représailles du secrétaire général des Nations Unies sur la Coopération avec les Nations unies, ses représentants et ses mécanismes dans le domaine des droits de l'homme.
Les experts ont ainsi recommandé à l’État partie de veiller à ce que « les défenseurs des droits de l'homme, notamment ceux qui partagent des informations avec les mécanismes des droits de l'homme des Nations Unies, puissent travailler en toute sécurité et efficacement dans l'État partie, notamment en créant un environnement propice à la promotion et à la protection des droits humains ».
Absence d’indépendance de l’autorité judiciaire
Le climat d’impunité qui règne dans le pays est, en partie, dû à l’absence d’indépendance de la justice vis-à-vis du pouvoir exécutif, avait précisé Alkarama indiquant que cela entraîne le déni des autorités judiciaires face aux allégations des tortures systématiquement rejetées.
Les experts ont donc préconisé une révision du « régime de nomination, de promotion et de révocation des juges » afin de garantir leur indépendance vis-à-vis de l'exécutif et ont ajouté « que l'absence d'enquête, poursuites pénales, ou d'autoriser des procédures civiles liées à des allégations d'actes de torture, peut (…) constituer une violation de ses obligations au titre de l'article 14 de la Convention. »
L’admissibilité des aveux extorqués sous la torture
Dans ses observations finales, le Comité s’est dit « préoccupé par les informations faisant état de condamnations fondées uniquement sur des aveux obtenus sous la torture ».
Dans son rapport, Alkarama avait indiqué l’admissibilité comme preuve des aveux extorqués sous la torture par le système juridique émirien qui accorde une grande importance aux aveux, même s’ils constituent les seules preuves de l’accusation lors des procès, et ce, en dépit des allégations de torture formulées par les accusés, y compris devant les juges.
Le Comité a ainsi recommandé à l'État partie « de prendre des mesures efficaces pour garantir dans la pratique que les aveux obtenus par la torture ou les mauvais traitements soient jugés irrecevables et fassent l’'objet d'une enquête ». Comme suggéré par Alkarama, le Comité a également demandé à recevoir des informations « sur tous les cas où des aveux ont été jugés irrecevables au motif qu'ils avaient été obtenus sous la torture (…) ».
Les violations commises au Yémen
Enfin, les experts ont exprimé leurs inquiétudes quant aux « informations faisant état de graves violations des droits de l'homme perpétrées par les forces armées régulières de l'État partie, par des acteurs non étatiques dont les actions sont attribuables à l'État partie, et dans des centres de détention relevant de la juridiction de l'État partie (…) ».
Dans son rapport, Alkarama avait attiré l’attention des experts sur les violations commises au Yémen par les EAU qui dirige, depuis 2015, avec l’Arabie Saoudite une coalition formée dans le but de rétablir au pouvoir le gouvernement légitime du Yémen et de combattre les milices du mouvement « Ansar Allah » (également connu sous le nom de « Houthis »).
Le Comité a ainsi rappelé à « l'État partie que la notion de "tout territoire sous sa juridiction", liée comme elle l'est au principe de non-dérogabilité, inclut tout territoire ou installation et doit être appliquée pour protéger toute personne, citoyenne ou non citoyenne, sans discrimination, soumise à un contrôle de droit ou de fait, citoyen ou non-citoyen, sans discrimination, soumis au contrôle de jure ou de facto d'un État partie. »
L’État partie devra mettre en œuvre les recommandations formulées par le Comité contre la torture dans le délai qui lui a été imparti. Alkarama surveillera le suivi effectif de ces recommandations et accordera une attention particulière à la mise en œuvre de ces recommandations par le gouvernement.