Alkarama et l'Association des victimes de la torture en Tunisie (AVTT) suivent avec une grande inquiétude la répression et les poursuites engagées par les autorités tunisiennes contre les opposants politiques en général et les dirigeants du mouvement Ennahda en particulier. Le Tribunal de première instance de Tunis a tenu une session pour l'ancien ministre de la Justice et vice-président du Mouvement Ennahda, M. Noureddine Bhiri, le mardi 5 juin, en raison d'un post sur son compte Facebook.
L'épouse de M. Bhiri, l'avocate Saida Akremi, a rapporté que le tribunal l'a accusé d'« agression, avec l'intention de changer la structure de l'État et d'inciter les habitants à s'attaquer les uns les autres avec des armes, et d'inciter au chaos, au meurtre et au pillage sur le sol tunisien », ce qui est passible de la peine de mort. Mme Akremi a rapporté que « Bhiri, qui est en prison depuis le 13 février 2023, est jugé aujourd'hui pour un poste dont l'expert désigné par le tribunal a prouvé qu'il n'existait pas ».
La justice tunisienne a émis une nouvelle ordonnance d'emprisonnement pour M. Bhiri, sur fond d'une autre affaire relative à « l'octroi de la nationalité de l'Etat à des étrangers impliqués dans des affaires de terrorisme ».
L’audience
Au cours du procès, l'ancien ministre M. Bhiri a commencé son discours devant la Cour en rappelant les débuts de sa persécution, faisant référence aux violations des droits fondamentaux dont il a fait l'objet. Il a rappelé la perquisition de sa maison sans autorisation légale, les agressions, les coups et le fait qu'il ait été traîné devant sa famille. Il a également rappelé qu'il avait été torturé par l'enquêteur initial, ce qui lui avait causé une fracture de l'épaule ainsi que des blessures et des cicatrices sur les membres.
La justice a tenu pour juridiquement et moralement responsable le juge des référés, Zuhair bin Abdullah, qui, malgré les signes visibles de torture et la demande des avocats d'inspecter les marques visibles de torture, a refusé d'enquêter et s'est contenté de délivrer un mandat de détention contre M. Bhiri à la prison de Mornaguia.
La défense, composée de plus de 70 avocats, est intervenue pour souligner les irrégularités procédurales qui ont accompagné les poursuites depuis le début et l'incapacité des autorités à prouver un quelconque crime à l'encontre de M. Bhiri. Ils ont souligné que les autorités n'ont pas prouvé que M. Bhiri, qui a été victime d'un enlèvement et d'une disparition forcée, a commis un crime sur la base d'une déclaration de sécurité publique fondée sur la loi d'urgence de la fin de l'année 2021. Les autorités n'ont pas non plus prouvé que M. Bhiri avait porté atteinte à la sécurité de l'État dans cette nouvelle affaire.
A son tour, la Chambre criminelle du Tribunal de première instance de Tunis a décidé de se saisir du dossier, fixant la date de la prochaine session afin d'examiner les différentes requêtes soumises par son équipe de défense.
L'activisme d'Alkarama
Les autorités tunisiennes avaient arrêté M. Bhiri le 31 décembre 2021 avant de le libérer le 7 mars 2022 au soir après 67 jours de détention. Suite à son arrestation, Alkarama et l'Association des victimes de la torture en Tunisie s'étaient adressées aux experts des Nations Unies au sujet de son cas. M. Bhiri a passé la majeure partie de sa précédente détention arbitraire à l'hôpital de Bizerte sans qu'aucune charge ne soit retenue contre lui. Il a été libéré après la détérioration de son état de santé, avant d'être arrêté à nouveau le 13 février 2023. Il est toujours en détention depuis ce jour.
Alkarama, l'Association des victimes de la torture en Tunisie (AVTT), Free Voice et l'Alliance pour la liberté et la dignité (AFD International) ont déposé le 6 janvier 2022 une plainte auprès du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture concernant le cas de M. Bhiri, ainsi que de M. Fathi Beldi, ancien conseiller au ministère de l'Intérieur, pour avoir été victimes de traitements cruels, inhumains et dégradants lors de leur arrestation le 31 décembre 2021 par des membres des services de sécurité.
Alkarama, l'Association des victimes de la torture en Tunisie (AVTT), Free Voice et l'Alliance pour la liberté et la dignité (AFD International) se sont adressées au Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire (GTDA) au sujet de la situation des deux. Tous deux ont été arbitrairement assignés à résidence depuis leur arrestation violente le 31 décembre 2021 par des membres des services de sécurité.
Un régime autoritaire et répressif
Le 25 juillet 2021, le président tunisien Kais Saied a limogé le Premier ministre, suspendu toutes les activités du Parlement et levé l'immunité des parlementaires sur la base d'une interprétation erronée de l'article 80 de la Constitution. En outre, et en violation de la Constitution, il a annoncé qu'il assumerait tous les pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires avec l'aide du Premier ministre et des ministres qu'il nommerait personnellement.
Cette annonce a été suivie d'une série de violations des libertés individuelles et collectives, notamment d'arrestations arbitraires et d'assignations à résidence illégales de députés et de hauts fonctionnaires, y compris des juges et des hommes politiques. Les révocations par décrets présidentiels se sont également multipliées et se poursuivent depuis le 25 juillet 2021, touchant de nombreux hauts fonctionnaires administratifs et judiciaires, dont certains ont été assignés à résidence sur simple décision administrative.
M. Bhiri a passé sa vie à lutter contre la tyrannie politique dans son pays, et a donc été soumis à des arrestations par les autorités successives. Il a été arrêté en 1987 par le régime de Bourguiba, arrêté en 1990 sous le dictateur Zine El Abidine Ben Ali et enlevé le 31 décembre 2021 sous le régime de Kais Saied. Il est resté détenu pendant 67 jours au service des soins intensifs de l'hôpital Bougatfa de Bizerte.
Il a été arrêté à nouveau en février 2023 et reste en détention depuis.