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Alkarama for Human Rights, 12 juin 2008

Alkarama for Human Rights et l'Association des familles de disparus forcés de Constantine ont soumis aujourd'hui au Groupe de travail sur les disparitions forcées 19 nouveaux cas. Le 6 décembre 2007 et le 22 septembre 2005 déjà, les deux organisations lui avaient communiqué respectivement 165 et 672 cas de personnes disparues après avoir été enlevée par des membres de services de sécurité algériens.

Les services de sécurité algériens, tous corps confondus, agents du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), militaires, gendarmerie nationale, police et forces paramilitaires se sont livrés pendant près d'une décennie à une pratique massive et systématique d'arrestations arbitraires suivie de disparition de civils qui a fait près de 7000 victimes selon les estimations les plus modérées et jusqu'à 20 000 selon certaines sources. Il s'agit d'une pratique coordonnée au niveau national, menée conformément à un modus operandi caractéristique et identifiable.

La pratique des disparitions forcées, si elle a fait beaucoup moins de victimes après l'arrivée en 1999 de M. Bouteflika à la présidence, n'a jamais totalement été abolie. Aujourd'hui encore des personnes sont arrêtées et maintenues au secret, parfois pendant des mois, de sorte qu'elles peuvent pendant cette période être considérées comme ayant disparu.

Manipulations autour du nombre de disparus

Après des années de déni, l'Etat algérien a été contraint de reconnaître l'existence du phénomène des disparitions forcées. Il en attribue cependant la responsabilité à des dérapages individuels. Les autorités refusent d'ouvrir des enquêtes, de poursuivre pénalement et de sanctionner les auteurs en reprenant notamment le slogan " l'Etat est responsable mais non coupable ".

Le déni se situe aussi au niveau de la reconnaissance du nombre de disparus. Après avoir déclaré en 2003 que la gendarmerie nationale avait fourni le " chiffre exact " de 7 200 victimes, Farouk Ksentini, Président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme (CNPPDH), organisme proche de la Présidence, déclarait en mars 2005, 6146 disparitions " du fait des agents de l'Etat ". Peu après pourtant, il affirme que " au moins 3 000 personnes disparues sont des personnes qui ont rejoint le maquis et qui sont mortes par la suite ou des personnes qui se trouvent cachées à l'étranger ".

Face à ces chiffres contradictoires, Me Ksentini présidant le " mécanisme ad hoc " qui doit faire la lumière sur les disparitions forcées, explique que la liste de 6146 personnes se basait en réalité sur les informations des familles. Or, il avait affirmé que la gendarmerie évaluait le nombre de disparus à 7 200. Et si le mécanisme n'avait pas de mandat pour mener des enquêtes indépendantes, il devait tout de même en tant qu' " interface entre les pouvoirs publics et les familles concernées ", procéder à " l'identification des cas d'allégations de disparition, sur la base de l'ensemble des informations déjà recueillies et celles résultant, d'une part, des actions qu'il aura à mener et à faire entreprendre par les autorités compétentes, et de toutes les recherches nécessaires pour localiser les personnes déclarées disparues, d'autre part ".

Ces recherches étaient en particulier à effectuer auprès des différentes forces de sécurité. Cela signifie que c'est sur cette base que le nombre de 6146 disparus avait déjà formellement été établi. Prétendre quelques mois plus tard que la moitié de ces personnes sont de " faux disparus " décrédibilise totalement l'action et du " mécanisme ad hoc " et de la CNCPPDH.

Une réconciliation au prix du déni et de l'impunité


L'ordonnance n°6/01 du 27 février 2006 portant " mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale " prétend mettre un point final à la question des disparitions forcées en Algérie en interdisant définitivement toute plainte contre les auteurs de crimes (article 45) et en menaçant d'emprisonnement quiconque serait tenté " de nuire à leur honorabilité " (article 46), établissant ainsi une impunité totale et généralisée.

Les autorités ont institué parallèlement une vaste campagne pour contraindre les familles des victimes à accepter une indemnisation. Les familles doivent cependant saisir la juridiction compétente pour qu'un jugement déclaratif de décès de leur parent disparu soit rendu. Or, lorsqu'elles font cette démarche, elles sont contraintes de signer une déclaration attestant que leur parent était un terroriste. Ce n'est que sur la base de ces fausses déclarations qu'elles peuvent bénéficier d'une indemnisation. On comprend mieux ainsi comment le nombre initial de disparitions reconnues par les autorités peut être divisé par deux.

Même si certaines des familles ont accepté par nécessité les propositions des autorités, elles continuent cependant à revendiquer que la vérité soit faite sur le sort de leurs proches et que les responsables soient jugés. A ce titre, l'Association des familles de disparus forcés de Constantine (AFDFC) organise des sit-in hebdomadaires devant le siège des autorités locales, en dépit des pressions et menaces dont ses membres font périodiquement l'objet.

Les Comités de l'ONU qualifient les disparitions forcées en Algérie de " crimes contre l'humanité "

Le Comité des droits de l'homme de l'ONU a examiné le rapport périodique algérien en octobre 2007. Lors des débats, l'un des experts du Comité, Sir Nigel Rodley, a qualifié de " crimes contre l'humanité " les graves violations des droits de l'homme commises en Algérie, notamment les milliers d'enlèvements et de décès. Il considère qu'il y a là une " pratique systématique ". (voir communiqué )

Le 1er novembre le Comité a rendu ses observations finales dans lesquelles il conseille d'engager des enquêtes afin d'établir les circonstances de la disparition, d'engager la libération du détenu en cas d'incarcération ou de révéler le lieu et la cause du décès éventuel, ainsi que de remettre le corps à la famille. L'organe onusien considère qu'il est indispensable de prouver les responsabilités pour ces disparitions forcées, de poursuivre et de condamner les coupables.

Le Comité contre la torture qui a quant à lui examiné le rapport périodique algérien début mai 2008 partage les mêmes préoccupations. Plusieurs de ses membres ont qualifié les disparitions forcées en Algérie de " crimes contre l'humanité ". Il recommande dans ses observations finales l'amendement de l'article 45 de l'Ordonnance " afin de préciser que l'exonération des poursuites ne s'applique en aucun cas aux crimes tels que la torture, y compris le viol, et la disparition forcée qui sont des crimes imprescriptibles. L'Etat partie devrait prendre sans délais toutes les mesures nécessaires pour garantir que les cas de torture passés ou récents, y compris les cas de viols, et disparitions forcées fassent l'objet d'enquêtes systématiques et impartiales, que les auteurs de ces actes soient poursuivis et sanctionnés (…) "

Devant le déni persistant des autorités algériennes qui refusent de restituer les corps des victimes si elles sont décédées ou de révéler le lieu où elles ont été enterrées, les familles de disparus n'ont d'autre choix que de s'adresser encore une fois au Groupe de travail.

En outre, plusieurs familles de disparus ont saisi Alkarama pour soumettre des plaintes au Comité des droits de l'homme de l'ONU.