C'est une foule en liesse qui déambule dans le quartier de Matar Ibrahim Matar en ce dimanche 7 août, à quelques kilomètres de Manama. Jeune opposant politique chiite et ancien parlementaire, Matar Matar vient d'être libéré, en même temps que trois autres figures de l'opposition dont Jawad Fairuz et plus d'une centaine de prisonniers politiques, après avoir passé douze semaines en détention. Il avait été enlevé le 2 mai 2011 à Al-Daih après avoir critiqué dans la presse internationale les exactions commises par les autorités du Royaume contre les manifestants pacifiques et le personnel médical. Matar pourrait être jugé en septembre prochain par une juridiction civile.
Membre du principal parti d'opposition Al-Wafeq, Matar Matar donnait l'interview de trop le 1er mai. Invité par Al-Jazeera pour commenter les arrestations de médecins et d'infirmières bahreïnies et sa démission de ses fonctions de parlementaire, il y dénonçait une volonté politique de réduire au silence tout témoin des abus commis par les forces de sécurité, pointant du doigt le fonctionnement bancal du parlement. Le lendemain, il disparaissait.
Matar Matar a été victime d'un véritable guet-apens. Quelques heures avant son enlèvement, le 2 mai dernier, Matar reçoit un appel téléphonique anonyme, aux alentours de 19h30. Une femme insiste pour lui remettre une lettre, en personne. C'est le deuxième appel anonyme qu'il reçoit en 48 heures. Il hésite, négocie et finit par accepter de la retrouver le soir même près du supermarché de son quartier à Al-Daih, au nord-ouest de Manama. Arrivé sur le lieu du rendez-vous avec sa femme, il lui demande de le suivre jusqu'à chez lui en voiture pour y déposer la lettre. En fait de femme, c'est un groupe d'hommes masqués qui le prend en chasse. Probablement des gardes de la sécurité nationale. Il tente de les semer, en vain, et se fait rattraper alors qu'il arrive au nord de la ville de Manama. Sa famille n'aura aucune nouvelle de lui pendant près de cinq semaines, avant d'être autorisé à l'appeler; des échanges brefs, sporadiques et au cours desquels il n'est pas autorisé à révéler son lieu de détention.
Matar finit par comparaître le 12 juin devant le tribunal de la sûreté nationale, juridiction militaire d'exception, pour "incitation publique à un changement de régime", "diffusion délibérée de fausses rumeurs", et "participation à des rassemblements". Quelques jours auparavant, sa famille et son avocat ont eu vent de rumeurs sur sa comparution devant le tribunal. Le jour de l'audience, ils se précipitent à la cour mais arrivent trop tard pour y assister. Matar, qui porte les mêmes habits que le jour de son enlèvement, semble très affecté par les quarante jours passés en cellule d'isolement, quarante jours où il a été interrogé, menacé, battu. Sa famille et lui parviennent à échanger quelques mots.
Pendant tout le mois précédant sa libération, sa famille n'a aucune nouvelle de l'avancée de son dossier. Dix jours avant, elle assiste à une nouvelle audience de Matar devant la juridiction militaire mais comme l'affaire semble stagner, elle n'a pas grand espoir de le voir libre dans un futur proche.
La décision de cette libération impromptue aurait été ordonnée à la faveur de l'adoption d'une série de réformes entreprises par le roi. Certains y voient la volonté de calmer les tensions dans le pays; d'autres affirment que ce revirement de situation est le fruit des pressions exercées par la communauté internationale qui se mobilise depuis trois mois pour cette affaire en particulier et de manière plus générale pour les victimes des exactions du gouvernement.
Tandis que la ministre des droits de l'homme, Fatima Al-Bahudi déclare qu'une enquête sera ouverte, Cherif Bassiouni, le président de la Commission d'enquête internationale chargée de faire la lumière sur la répression sanglante du mouvement de contestation du régime de février/mars 2011, affirme qu'il continuera d'entendre tous les témoins des violations des droits de l'homme et d'oeuvrer pour obtenir la libération de prisonniers illégalement détenus. Il devrait remettre ses conclusions au gouvernement en octobre prochain.
Loin de l'avoir abattu, cette expérience semble avoir conforté Matar Matar dans ses convictions politiques et son engagement pacifique pour les réformes gouvernementales et pour le respect des droits de l'homme. Quant à savoir s'il sera jugé en septembre prochain par une juridiction civile, il semble que cette question sera le fruit d'une décision politique.