Le 2 octobre 2023, Alkarama a soumis son rapport alternatif au Comité contre la torture (CAT) dans la perspective du prochain examen de l’Égypte. Il s’agira de son 6ème examen par les experts indépendants du comité chargé de surveiller l’application par l’Etat partie de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ratifiée en 1986.
Dans ce contexte, Alkarama a exprimé ses principales préoccupations, attirant l’attention du Comité sur la gravité de la situation des droits de l'homme dans le pays, et formulé ses recommandations.
Dans son rapport, elle a souligné que situation des droits de l'homme en Égypte, qui était déjà préoccupante depuis son dernier examen périodique par le CAT en 2002, s'est gravement détériorée au fil des ans et en particulier depuis la prise de pouvoir militaire par le général Abdel Fattah al-Sisi le 3 juillet 2013.
Pratique systématique de la torture en détention
Depuis le dernier examen de l'Égypte, Alkarama a soumis de nombreux cas au Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, mettant en évidence un ensemble de pratiques de disparitions forcées et de tortures systématiques ciblant les personnes arrêtées et détenues, en particulier durant la phase de l'enquête préliminaire.
D’autre part Alkarama a soulevé dans sa contribution la question des lacunes législatives internes, en particulier l’absence de la criminalisation de la torture et l’insuffisance des garanties pour prévenir et traiter correctement le problème de la torture et des mauvais traitements en Égypte.
Ces cas ont démontré que la torture est pratiquée de manière routinière et généralisée et qu'elle prend diverses formes : insultes, humiliations, menaces de meurtre et de viol à l'encontre de la victime et de ses proches, gifles, coups portés avec des tuyaux métalliques sur différentes parties du corps, pendaison au plafond, violences sexuelles et chocs électriques, en particulier sur les parties sensibles du corps.
Le refus de l’Égypte de reconnaître les pratiques systématiques de torture
Alkarama a également exprimé sa profonde préoccupation quant au refus de l’Égypte de reconnaître la pratique systématique des actes de torture dans le pays.
En mars 2012, Alkarama a soumis une communication au Comité, demandant aux experts de déclencher une enquête dans le cadre de la procédure prévue par l'article 20 de la Convention contre la torture, qui permet aux experts du Comité de déclencher l'enquête s'ils reçoivent "des renseignements fiables qui leur semblent contenir des indications bien fondées que la torture est pratiquée de manière systématique sur le territoire d'un Etat partie". La plainte a été corroborée par de nombreux témoignages de torture documentés par Alkarama.
Entre 2012 et 2016, Alkarama a transmis huit autres rapports de suivi au CAT confirmant le caractère systématique de la torture, ainsi que sur l'absence de volonté politique des autorités de prendre les mesures législatives et politiques adéquates pour y mettre fin.
Le Comité contre la torture a ainsi considéré qu'il avait reçu suffisamment de preuves pour conclure que la torture était restée systématique malgré plusieurs changements de gouvernement, affirmant dans son rapport que cette pratique est "habituelle, généralisée et délibérée" en Égypte.
Le Comité onusien a adressé plusieurs recommandations urgentes à l'Égypte, notamment celle de mettre fin à la pratique de la torture dans les centres de détention, de mettre en place une politique de tolérance zéro pour cesser l'impunité des auteurs de ces actes et de veiller à ce que les autorités condamnent publiquement la torture et les mauvais traitements.
Aucun des gouvernements successifs depuis n'a coopéré avec le Comité et mis en œuvre ces recommandations.
Violation des droits fondamentaux des détenus
Alkarama a démontré dans sa contribution et à travers plusieurs cas concrets, que les garanties procédurales visant à prévenir les mauvais traitements et la torture en détention, même lorsqu’elles sont consacrées dans le droit égyptien, ne sont jamais respectées dans la pratique.
Les personnes détenues sont privées des garanties juridiques fondamentales dès le début de leur détention dont, entre autres, l’accès à un avocat et à un examen médical indépendant, le droit d’informer leurs proches de leur détention ou encore le droit d’être présenté devant une autorité judiciaire indépendante dans des délais raisonnables.
Recours excessif à la violence
A la suite du coup d'État militaire en Égypte, Alkarama a observé avec une grande inquiétude une escalade de la violence, en particulier dans le contexte de manifestations pacifiques qui ont entraîné des blessures et même la mort de nombreux civils.
Le meurtre de plus d'un millier de manifestants pacifiques sur la place Rabaa est certainement l'exemple le plus criant de cette brutalité et de l'impunité qui s'en est suivie.
Alkarama a donc accordé une partie de son rapport à ce tragique massacre à l’occasion notamment de son dixième anniversaire. Elle a rappelé dans son rapport que malgré les appels lancés par des milliers de familles de personnes tuées lors de ces manifestations aucune de ces exécutions extrajudiciaires n'a fait l'objet d'une enquête de la part des autorités, ce qui renforce le climat d'impunité généralisée qui règne dans le pays.
Alkarama qui regrette l'absence de justice pour les victimes du massacre de Rabaa, malgré la décennie qui s'est écoulée, a également mentionné plusieurs cas de survivants grièvement blessés arrêtés, traduits devant les tribunaux et condamnés à de longues peines de prison, voire à des peines capitales.
Violations commises sous prétexte de lutte contre le terrorisme
Sous prétexte de "lutter contre le terrorisme", l'Égypte a adopté plusieurs lois qui définissent vaguement la notion de "terrorisme" et qui, par conséquent, élargissent considérablement son champ d'application pour y inclure des actes non violents de dissidence politique.
Alkarama a démontré, à travers des cas documentés soumis préalablement aux mécanismes des Nations Unies, que cette définition excessivement large du terrorisme est utilisée pour étouffer toute forme de dissidence, en particulier depuis que le parti politique des "Frères musulmans" a été désigné comme "organisation terroriste" en 2013.
L'absence de volonté politique des autorités à mettre en œuvre et à faire respecter les dispositions de la Convention, leur réticence à s'acquitter des obligations qui leur incombent en vertu de celle-ci ainsi que l'impunité dont jouissent les auteurs de violations sont autant de facteurs qui ont contribué à la prévalence de la torture et des mauvais traitements en Égypte.
Alkarama qui attachera une attention particulière à l’examen de l’Égypte par le Comité espère qu'un dialogue constructif avec les autorités égyptiennes permettra de répondre à ces préoccupations.