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Examen Egypte

Le Comité contre la torture de l’ONU, chargé de surveiller l’application de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants par ses États parties, a publié ses observations finales à l’issue de l’examen de l’Égypte au cours de sa 78ème session qui s’est déroulée à Genève du 30 octobre au 24 novembre 2023. 

A l’occasion de l’examen, la délégation égyptienne a présenté, avec 20 ans de retard,  son cinquième rapport périodique en tentant de répondre aux nombreuses interrogations des experts indépendants de l’ONU. 

Pendant le débat, les experts du Comité n’ont pas manqué de faire état des informations documentées émanant des ONG indépendantes, dont Alkarama, concernant un recours généralisé à la torture et autres mauvais traitements, à la pratique de la disparition forcée et à la détention arbitraire. Les experts indépendants se sont également penchés sur les conditions inhumaines de détention dans les prisons égyptiennes telles que décrites par Alkarama dans son rapport soumis au Comité. 

Les conditions de détention dans la prison de Badr 

Dans son rapport au Comité, Alkarama avait attiré l’attention des experts sur les conditions de détention déplorables dans les prisons égyptiennes à travers l’exemple concret du « centre de réhabilitation » de Badr. 

Alkarama qui s’est penchée sur cette question à plusieurs reprises au cours de l’année, avait évoqué l’insalubrité et le surpeuplement du centre où les détenus sont privés d’accès aux soins et de nourriture. 

Bien qu’un expert de l’ONU ait rappelé à la délégation égyptienne cette réalité en énumérant les décès survenus dans le centre, celle-ci a refusé d’admettre  tout lien de causalité entre les conditions de détention et ces décès. 

A l’issue de l’examen le Comité s’est déclaré « préoccupé par les rapports faisant état de la surpopulation et des mauvaises conditions matérielles de détention dans les lieux de privation de liberté, tels que le « centre de réhabilitation » de Badr, en particulier (…) ». 

Tout comme Alkarama, les experts ont recommandé à l’Égypte d’assurer des conditions de détention « en conformité avec l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela), notamment au Centre de réhabilitation de Badr. » 

Les experts relèvent un recours généralisé à la pratique de la torture 

Dans son rapport au Comité, Alkarama a souligné que la torture en Égypte reste généralisée. Evoquant la procédure d’enquête engagée par le Comité à sa demande en mars 2013, Alkarama a rappelé aux experts le refus de l’Égypte de coopérer et de mettre en œuvre les recommandations formulées en vue de l’éradication totale de la torture. 

Dans son intervention orale, devant le Comité, Rachid MESLI, directeur juridique d’Alkarama, a souligné que la situation en Egypte n’a non seulement pas évolué depuis les recommandations finales formulées en 2017, mais qu’elles s’étaient encore nettement dégradées depuis le coup d’état militaire du général Al Sissi en 2013. 

Pendant le débat public, un membre du Comité n’a pas manqué de rappeler à la délégation égyptienne que, dans son rapport annuel 2016-2017, le Comité avait déjà noté des « indications bien fondées sur le recours systématique à la torture sur le territoire égyptien » et avait relevé que le Gouvernement avait « rejeté les recommandations du Comité tendant à ce qu’il mette immédiatement fin à la pratique de la détention au secret [et] qu’il crée une autorité indépendante chargée d’enquêter sur les allégations de torture, de disparition forcée et de mauvais traitements ». 

Cependant, M. Khaled Aly El Bakly, Ministre adjoint aux affaires étrangères, chargé des droits de l'homme et des affaires humanitaires et sociales internationales, et Chef du Secrétariat technique du Haut Comité permanent des droits de l'homme a exprimé, contre toute évidence, le refus de de l’Egypte de reconnaître la pratique généralisée de la torture et  « a exclu que l’on puisse parler en Égypte de ‘’torture systématique’’». 

Le Comité onusien a néanmoins rappelé et réitéré les précédentes recommandations formulées à l’issue de la procédure d'enquête initiée par Alkarama, ajoutant que l’Égypte se doit de veiller « à ce que toutes les plaintes pour torture et mauvais traitements fassent l'objet d'une enquête rapide, efficace et impartiale de la part d'un organisme indépendant ». 

Le Comité appelle l’Égypte à enquêter sur les cas de disparitions forcées 

Dans son rapport au Comité, Alkarama a également évoqué la question des disparitions forcées et de détention au secret à travers plusieurs cas documentés de victimes et mis en exergue le déni et l’absence de volonté de l’Égypte de collaborer avec les mécanismes de protection concernés. 

Au cours de l’examen, la délégation égyptienne a persisté dans le déni en affirmant que le chiffre mentionné par un expert de 4000 disparitions forcées était très loin du nombre officiel de 890 cas recensés par les autorités. La délégation a, par ailleurs, critiqué ces allégations qui, selon elle, porteraient « atteinte à la réputation de son pays ». 

Le Comité a cependant appelé l’Égypte à « incriminer explicitement les disparitions forcées et  à veiller à ce que tous les cas de disparition forcée fassent l'objet d'une enquête approfondie et impartiale, que les responsables soient poursuivis et, s'ils sont reconnus coupables, qu'ils reçoivent une sanction à la hauteur du crime. » 

Les experts recommandent la révision de la loi antiterroriste 

Sous prétexte de lutte contre le terrorisme, l'Égypte recourt régulièrement à la loi antiterroriste qui définit vaguement la notion de "terrorisme" élargissant ainsi son champ d'application pour y inclure différents types d'activités qui sont en fait des actes non violents de nature politique. 

Dans son rapport au Comité, Alkarama avait illustré par des cas documentés le recours abusif des autorités égyptiennes à la législation antiterroriste pour réprimer la dissidence politique. 

Au cours de l’examen, les experts ont interrogé la délégation pour savoir si des mesures avaient été prises pour définir strictement le terrorisme afin de garantir que la législation antiterroriste ne soit pas utilisée pour restreindre les droits consacrés par la Convention contre la torture. 

La délégation égyptienne s’est prévalu du fait que « la définition du terrorisme dans le droit égyptien est alignée sur celle adoptée par d’autres pays » et que « les personnes accusées d’actes de terrorisme bénéficient des mêmes garanties procédurales que les autres justiciables y compris pour ce qui concerne l’irrecevabilité des preuves obtenues sous la torture ». 

Une réponse loin d’être convaincante pour qui connait la réalité de la pratique judiciaire dans le pays qui a amené les experts à appeler l’Égypte à réviser sa législation afin d’assurer sa conformité à la Convention et aux normes internationales, et veiller à ce qu’elle ne soit pas utilisée pour restreindre les droits consacrés par la Convention. 

L’État partie dispose jusqu’au 24 novembre 2024 pour fournir au Comité des renseignements sur la suite donnée à ses recommandations. 

Alkarama veillera à assurer un suivi en soumettant un rapport au Comité onusien afin de vérifier que ces recommandations soient effectivement mises en œuvre.