02 mai 2010
Lors de sa 44e session, le Comité contre la torture examinera les 3 et 4 mai 2010 le rapport périodique initial de la Syrie (CAT/C/SYR/1). Alkarama a présenté un rapport alternatif « Syrie: L’état d’urgence permanent : un environnement propice à la torture » dans lequel elle attire l'attention des experts sur les violations systématiques des droits humains commises par des agents de l'Etat. Elle relève aussi l'incompatibilité de certains décrets syriens avec les traités internationaux pourtant ratifiés par la Syrie.
Alkarama mesure l'ampleur de l'instabilité dans la région et ses répercussions pour la Syrie qui non seulement a une partie de son territoire colonisée mais doit régulièrement faire face à des offensives armées de la part notamment de l'armée israélienne. Cette agression permanente ne peut toutefois légitimer l'état d'urgence et la promulgation d'innombrables décrets qui restreignent considérablement les libertés publiques tout en garantissant l'impunité pour les agents de l'Etat.
L’état d’urgence, promulgué le 22 décembre 1962, a été complété par des lois martiales.
Les autorités syriennes expliquent dans leur rapport initial que cette loi d’exception « s’applique aux situations exceptionnelles dans lesquelles il y a une menace interne ou externe à la survie de la nation ». Elles sont toujours en vigueur malgré leur inconstitutionnalité et contrairement aux affirmations des autorités syriennes dans leur troisième rapport périodique adressé au Comité des droits de l’homme : l’importance et la portée de ces lois y sont minimisées en affirmant que « la loi sur l’état d’urgence est en quasi-désuétude et ne s’applique qu’à des cas très limités concernant exclusivement des atteintes à la sécurité de l’Etat ». En réalité, cette législation confère de vastes pouvoirs d'exception - en particulier aux forces de sécurité - sans être soumis au contrôle d'une autorité judiciaire.
Plusieurs catégories de personnes sont touchées par des mesures répressives et font en particulier l'objet de procès inéquitables devant la Cour suprême de sûreté de l'Etat, juridiction d'exception. Les Frères musulmans et notamment ceux qui ont dû fuir le pays au début des années 80 sont systématiquement arrêtés, détenus et condamnés à leur retour. Malgré les promesses faites par les autorités syriennes de trouver une solution au dossier des Frères musulmans en abrogeant le décret de 1980 qui avait institué la peine de mort pour leurs membres, la traque perdure à ce jour et touche également leurs proches.
Des personnes soupçonnées d’appartenir à la mouvance salafiste font aussi l'objet d'arrestations et de condamnations pour leurs seules convictions. Des jeunes hommes soupçonnés de vouloir s'engager dans la résistance contre l'occupant en Irak sont eux aussi victimes d’arrestations, de détention au secret et de tortures et, lorsqu’ils sont jugés, sont condamnés à de lourdes peines.
Les membres de la minorité kurde sont également visés lorsqu’ils sont soupçonnés d’activer pour la reconnaissance de leurs revendications culturelles et politiques. Enfin, les défenseurs de droits de l'homme, intellectuels, journalistes, écrivains, signataires de déclarations réclamant des réformes dans le pays ont été particulièrement ciblés ces dernières années. Ces différentes catégories ne sont d’ailleurs pas hermétiques et s'enchevêtrent en partie, certains militants étant par exemple à la fois kurdes ou islamistes et défenseurs des droits de l'homme ou signataires d'un appel aux réformes.
Le dossier des disparus est l'un des plus douloureux. Des milliers de Syriens arrêtés dans les années 80 et 90 n'ont plus donné signe de vie mais aussi de nombreux ressortissants des pays arabes voisins sont victimes de détention au secret voire de disparitions forcées. Cette pratique n'a malheureusement pas disparu à ce jour.
L’impunité des agents de l'Etat a été encouragée par un nouveau décret n° 69 du 30 septembre 2008 accordant une immunité étendue pour les agents de la sécurité militaire, les agents de police et les agents de douane. Ce décret précise expressément que lesdits agents ne seront pas poursuivis pour des crimes commis pendant l'exercice de leurs fonctions, à moins qu’une décision contraire ne soit prise par le Commandement général de l'armée et des forces militaires. Or ces forces sont soumises à l'autorité du ministère de l'intérieur et non pas au commandement militaire. L’immunité accordée par la législation syrienne à certains agents de l’Etat viole le principe de l’égalité entre citoyens et implique que les auteurs des actes de tortures ne sont ni punis, ni traduits en justice. Ce climat d’impunité ne favorise pas la lutte contre la torture dans un pays où les agents de l’Etat la pratique régulièrement.
Dans son rapport, Alkarama formule des recommandations à l'adresse de l'Etat syrien:
1. Lever l’état d’urgence en vigueur dans le pays, abroger toutes les législations qui en résultent, abolir les juridictions d’exception et supprimer en particulier la compétence des juridictions militaires à juger des civils.
2. Interdire en droit et en fait toutes les formes de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants par les agents et les membres de tous les services de sécurité de l’Etat et veiller à ce que des enquêtes impartiales soient menées par une autorité indépendante sur toutes les allégations de tortures et de mauvais traitements, punir les responsables, offrir des recours effectifs aux victimes et les indemniser.
3. Intégrer dans la législation interne le crime de torture tel que défini par l’article 1er de la Convention et instituer des peines appropriées pour le réprimer.
4. Lutter contre l’impunité des auteurs d’actes de torture en abrogeant l’ensemble des dispositions légales de nature à leur assurer une immunité pour les actes constitutifs de tortures ou de mauvais traitements et en particulier les décrets n°549 du 25 mai 1969 et n°69 du 30 septembre 2008.
5. Mettre fin à la pratique de la détention au secret et placer tous les lieux de détention, sans exception, sous le contrôle effectif d'une autorité judiciaire ; appliquer les normes internationales relatives au traitement des détenus et aux conditions de détention énoncées notamment dans l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus et dans l'Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement ; introduire une séparation complète entre les autorités chargées des enquêtes préliminaires et de la gestion des prisons.
6. Mettre fin à la pratique des disparitions forcées et remettre en liberté ou placer sous la protection de la loi, sans délai, toutes les personnes arrêtées dont les proches sont sans nouvelles. Il devrait fournir une liste détaillée de toutes les personnes signalées comme disparues et instituer une commission indépendante et crédible avec pour mission d’enquêter sur tous les cas de disparitions forcées y compris les détenus disparus dans les prisons de Tadmor, de Sednaya et tous autres lieux de détention ainsi que les nationaux libanais transférés en Syrie.
7. Instituer une commission indépendante pour enquêter sur tous les décès en détention, informer les familles des résultats de cette enquête, restituer les corps des détenus décédés aux familles, rendre public les résultats de cette commission d’enquête, traduire les responsables de ces décès en justice et indemniser leurs ayants-droit.
8. Libérer immédiatement toutes les personnes arrêtées et détenues à raison de leurs activités politiques pacifiques, de l’expression de leurs opinions politiques ou de leurs activités dans le domaine des droits de l’homme et mettre fin à toute mesure de représailles ou de harcèlement contre ces personnes.
Alkarama mesure l'ampleur de l'instabilité dans la région et ses répercussions pour la Syrie qui non seulement a une partie de son territoire colonisée mais doit régulièrement faire face à des offensives armées de la part notamment de l'armée israélienne. Cette agression permanente ne peut toutefois légitimer l'état d'urgence et la promulgation d'innombrables décrets qui restreignent considérablement les libertés publiques tout en garantissant l'impunité pour les agents de l'Etat.
L’état d’urgence, promulgué le 22 décembre 1962, a été complété par des lois martiales.
Les autorités syriennes expliquent dans leur rapport initial que cette loi d’exception « s’applique aux situations exceptionnelles dans lesquelles il y a une menace interne ou externe à la survie de la nation ». Elles sont toujours en vigueur malgré leur inconstitutionnalité et contrairement aux affirmations des autorités syriennes dans leur troisième rapport périodique adressé au Comité des droits de l’homme : l’importance et la portée de ces lois y sont minimisées en affirmant que « la loi sur l’état d’urgence est en quasi-désuétude et ne s’applique qu’à des cas très limités concernant exclusivement des atteintes à la sécurité de l’Etat ». En réalité, cette législation confère de vastes pouvoirs d'exception - en particulier aux forces de sécurité - sans être soumis au contrôle d'une autorité judiciaire.
Plusieurs catégories de personnes sont touchées par des mesures répressives et font en particulier l'objet de procès inéquitables devant la Cour suprême de sûreté de l'Etat, juridiction d'exception. Les Frères musulmans et notamment ceux qui ont dû fuir le pays au début des années 80 sont systématiquement arrêtés, détenus et condamnés à leur retour. Malgré les promesses faites par les autorités syriennes de trouver une solution au dossier des Frères musulmans en abrogeant le décret de 1980 qui avait institué la peine de mort pour leurs membres, la traque perdure à ce jour et touche également leurs proches.
Des personnes soupçonnées d’appartenir à la mouvance salafiste font aussi l'objet d'arrestations et de condamnations pour leurs seules convictions. Des jeunes hommes soupçonnés de vouloir s'engager dans la résistance contre l'occupant en Irak sont eux aussi victimes d’arrestations, de détention au secret et de tortures et, lorsqu’ils sont jugés, sont condamnés à de lourdes peines.
Les membres de la minorité kurde sont également visés lorsqu’ils sont soupçonnés d’activer pour la reconnaissance de leurs revendications culturelles et politiques. Enfin, les défenseurs de droits de l'homme, intellectuels, journalistes, écrivains, signataires de déclarations réclamant des réformes dans le pays ont été particulièrement ciblés ces dernières années. Ces différentes catégories ne sont d’ailleurs pas hermétiques et s'enchevêtrent en partie, certains militants étant par exemple à la fois kurdes ou islamistes et défenseurs des droits de l'homme ou signataires d'un appel aux réformes.
Le dossier des disparus est l'un des plus douloureux. Des milliers de Syriens arrêtés dans les années 80 et 90 n'ont plus donné signe de vie mais aussi de nombreux ressortissants des pays arabes voisins sont victimes de détention au secret voire de disparitions forcées. Cette pratique n'a malheureusement pas disparu à ce jour.
L’impunité des agents de l'Etat a été encouragée par un nouveau décret n° 69 du 30 septembre 2008 accordant une immunité étendue pour les agents de la sécurité militaire, les agents de police et les agents de douane. Ce décret précise expressément que lesdits agents ne seront pas poursuivis pour des crimes commis pendant l'exercice de leurs fonctions, à moins qu’une décision contraire ne soit prise par le Commandement général de l'armée et des forces militaires. Or ces forces sont soumises à l'autorité du ministère de l'intérieur et non pas au commandement militaire. L’immunité accordée par la législation syrienne à certains agents de l’Etat viole le principe de l’égalité entre citoyens et implique que les auteurs des actes de tortures ne sont ni punis, ni traduits en justice. Ce climat d’impunité ne favorise pas la lutte contre la torture dans un pays où les agents de l’Etat la pratique régulièrement.
Dans son rapport, Alkarama formule des recommandations à l'adresse de l'Etat syrien:
1. Lever l’état d’urgence en vigueur dans le pays, abroger toutes les législations qui en résultent, abolir les juridictions d’exception et supprimer en particulier la compétence des juridictions militaires à juger des civils.
2. Interdire en droit et en fait toutes les formes de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants par les agents et les membres de tous les services de sécurité de l’Etat et veiller à ce que des enquêtes impartiales soient menées par une autorité indépendante sur toutes les allégations de tortures et de mauvais traitements, punir les responsables, offrir des recours effectifs aux victimes et les indemniser.
3. Intégrer dans la législation interne le crime de torture tel que défini par l’article 1er de la Convention et instituer des peines appropriées pour le réprimer.
4. Lutter contre l’impunité des auteurs d’actes de torture en abrogeant l’ensemble des dispositions légales de nature à leur assurer une immunité pour les actes constitutifs de tortures ou de mauvais traitements et en particulier les décrets n°549 du 25 mai 1969 et n°69 du 30 septembre 2008.
5. Mettre fin à la pratique de la détention au secret et placer tous les lieux de détention, sans exception, sous le contrôle effectif d'une autorité judiciaire ; appliquer les normes internationales relatives au traitement des détenus et aux conditions de détention énoncées notamment dans l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus et dans l'Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement ; introduire une séparation complète entre les autorités chargées des enquêtes préliminaires et de la gestion des prisons.
6. Mettre fin à la pratique des disparitions forcées et remettre en liberté ou placer sous la protection de la loi, sans délai, toutes les personnes arrêtées dont les proches sont sans nouvelles. Il devrait fournir une liste détaillée de toutes les personnes signalées comme disparues et instituer une commission indépendante et crédible avec pour mission d’enquêter sur tous les cas de disparitions forcées y compris les détenus disparus dans les prisons de Tadmor, de Sednaya et tous autres lieux de détention ainsi que les nationaux libanais transférés en Syrie.
7. Instituer une commission indépendante pour enquêter sur tous les décès en détention, informer les familles des résultats de cette enquête, restituer les corps des détenus décédés aux familles, rendre public les résultats de cette commission d’enquête, traduire les responsables de ces décès en justice et indemniser leurs ayants-droit.
8. Libérer immédiatement toutes les personnes arrêtées et détenues à raison de leurs activités politiques pacifiques, de l’expression de leurs opinions politiques ou de leurs activités dans le domaine des droits de l’homme et mettre fin à toute mesure de représailles ou de harcèlement contre ces personnes.