Le 30 juin 2015, Alkarama a adressé une communication au Rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats (SR IJL), Mme Gabriela Knaul, relative au cas de Maître Mohamed Anbar (محمد عنبر) injustement révoqué de ses fonctions en octobre 2014 après avoir subi brimades et persécutions policières alors même qu'il était encore président de chambre à la cour de cassation de Rabat, la plus haute instance judiciaire du pays.
Depuis la promulgation de la Constitution du 1er juillet 2011, qui octroie le droit aux juges de former des associations, Me Anbar a joué un rôle important dans la création, en 2011, du Club des magistrats du Maroc, une association indépendante dont il a été élu vice-président et qui œuvre à renforcer l'indépendance du pouvoir judiciaire dans le pays.
Dans ce contexte, Me Anbar avait vivement critiqué plusieurs projets de loi, notamment sur le Statut des magistrats qui interdit à ces derniers de faire grève au nom du « devoir de réserve » que leur impose la Constitution. Estimant que cette disposition est en contradiction avec le droit de grève garanti par l'article 29 de la Constitution, il avait organisé un sit-in pacifique devant le Ministère de la Justice, ce qui avait suscité de vives tensions avec les autorités.
Il avait alors été muté en représailles au poste de procureur du roi au tribunal de première instance de Bejaâd, une petite ville située à près de 200 kilomètres au sud de Rabat. Ayant refusé cette mutation considérée comme une sanction, il avait été réaffecté au parquet de la Cour d'appel de Rabat au poste de vice-procureur du roi, réaffectation qu'il avait également refusée, considérant qu'il s'agissait d'une rétrogradation injustifiée.
Convoqué de façon irrégulière devant le Conseil supérieur de la magistrature relativement à ces mutations disciplinaires, Me Anbar a également refusé de comparaitre en raison de la violation à son égard de la procédure de notification, qui doit rester confidentielle pour préserver la réputation du magistrat.
Arrestation et radiation de Me Anbar
Le 6 mai 2014, Me Anbar était invité en sa qualité de vice-président du Club des magistrats à l'ambassade de France à un atelier concernant la réforme de la justice au Maroc au cours duquel il a notamment été débattu de la suspension de la coopération judiciaire entre les deux pays après la plainte pour torture déposée en France par une ONG contre le chef des renseignements marocain.
Interrogé par la presse à l'issue de cet atelier, le vice-président du Club des magistrats avait exprimé son avis sur les conséquences de la suspension de cette coopération judicaire sur la situation des détenus français au Maroc et sur les questions liées aux demandes d'extradition. À la suite de cet évènement, il lui avait alors été reproché d'avoir enfreint le devoir de réserve qui incombe aux magistrats et à nouveau menacé de sanctions.
De fait, en août 2014, le Conseil supérieur de la magistrature annonçait que des sanctions allaient être prises contre le juge pour « faute professionnelle », pour avoir « critiqué publiquement la politique marocaine », sans toutefois que cette sanction ne lui soit notifiée officiellement pour lui permettre de la contester légalement.
Le 10 septembre 2014, Mohamed Anbar a été interpellé par la police sans mandat de justice et conduit de force au commissariat du 6ème arrondissement de Hay Riad à Rabat sans que les motifs de son arrestation ne lui soient communiqués. Humilié pendant de longues heures, il a refusé de répondre aux questions du chef de la police en invoquant son immunité de magistrat. Emmené tard dans la nuit devant le Procureur Général du Roi, ce dernier l'a alors informé qu'il avait été relevé de ses fonctions. L'ancien président de chambre à la cour de cassation de Rabat n'a été libéré qu'après 11 heures de garde-à-vue, durant laquelle il avait été privé de tout contact avec l'extérieur.
Ce n'est que le 30 octobre 2014 que le ministère de la Justice a officiellement annoncé la radiation du juge par le Conseil supérieur de la magistrature, annonce à la suite de laquelle Me Anbar a réaffirmé publiquement le caractère irrégulier de la décision, notamment en ce qu'elle constitue une violation claire de ses droits à la défense.
Démarches entreprises par Alkarama
Alkarama est préoccupée par les mesures de représailles dont a fait l'objet Me Anbar et notamment par l'irrégularité de sa radiation. En effet, lorsqu'une accusation est portée contre un magistrat en fonction, celui-ci doit être en mesure de jouir pleinement du droit d'être entendu et de se défendre. Me Anbar n'a manifestement pas bénéficié de ces droits. Il semble dès lors évident qu'il a été victime de représailles en raison de sa qualité de vice-président d'une organisation professionnelle indépendante et de son engagement en faveur d'une plus grande indépendance du pouvoir judicaire dans le pays.
Alkarama a ainsi demandé au Rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats (SR IJL) d'enjoindre aux autorités marocaines de respecter leurs obligations internationales, et de rétablir Me Mohamed Anbar dans ses fonctions et cesser tout acte de persécution à son égard.
Alkarama appelle les autorités marocaines à respecter l'indépendance des magistrats, principe qui ne saurait souffrir aucune exception dans un État démocratique.
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