Le 10 août 2018, suite à l’examen de la Mauritanie, le Comité contre la torture (CAT) chargé de veiller à la mise en œuvre de la Convention contre la torture (UNCAT) ratifiée par la Mauritanie en 2004, a rendu ses conclusions et recommandations. Lors d’un dialogue qui s’est tenu les 24 et 25 juillet à Genève, la délégation mauritanienne a eu l’opportunité de présenter la position du gouvernement et de répondre aux questions des experts du Comité.
Alkarama avait soumis un rapport alternatif soulignant plusieurs problématiques dont la mise en place d’un régime dérogatoire en matière de lutte contre le terrorisme, l’incorporation de châtiments corporels dans le Code pénal, le passif humanitaire non résolu ou encore le manque d’indépendance de la Commission nationale des droits de l'homme (CNDH). Toutes ces problématiques ont été soulevées par les membres du Comité lors de l’examen.
Tout en saluant la création d’un mécanisme national de prévention (MNP) ainsi que l’adoption de la Loi n°015-033 relative à la lutte contre la torture contenant une définition de la torture conforme à l’article premier de l’UNCAT, le Comité a relevé que la législation mauritanienne comportait toujours des dispositions contraires à la Convention et la loi n°2015-033 elle-même.
Absence de garanties juridiques dans le cadre de la lutte anti-terroriste
Si la loi « anti-torture » consacre un certain nombre de garanties fondamentales dès l’arrestation, le Comité a noté dans ses observations que ces mesures étaient « peu ou pas appliquées, puisque les dispositions relatives au régime de la garde à vue du Code de procédure pénale, et des lois relatives au terrorisme, à la corruption et aux stupéfiants, sont appliquées prioritairement par le juge national. »
Les personnes suspectées de terrorisme peuvent être placées en garde à vue pour de longues périodes pouvant aller jusqu’à 45 jours, sans être présentées devant un juge et sans avoir accès à un avocat, comme le permet la loi n° 2010-043 relative à la lutte contre le terrorisme. Le Comité a estimé que cette législation d’exception, comportait non seulement une définition très imprécise de l’acte terroriste, mais créait un environnement assimilable à la détention au secret et propice à la torture.
Pour remédier à cette situation, le Comité a recommandé à l’Etat partie de s’assurer que la durée maximale de la garde à vue n’excède pas 48 heures, quels que soient les chefs d’accusation retenus en révisant sa législation afin de la mettre en conformité avec la loi « anti-torture ».
Recours à la torture pendant l’arrestation et la détention
Le Comité demeure préoccupé par des informations concordantes, émanant de sources fiables comme le Rapporteur spécial sur la torture, lequel a effectué une visite dans le pays en 2016, selon lesquelles la torture demeure une pratique généralisée au sein des services de police et de gendarmerie, en particulier au cours de l’arrestation, pendant la garde à vue ou encore lors de transfèrements, quelle que soit la nature de l’infraction présumée, mais de manière systématique dans le cadre d’infractions terroristes.
Même lorsque des actes de torture sont documentés et dénoncés publiquement, le Comité a constaté l’absence de suite donnée aux allégations de torture, générant ainsi un climat d’impunité. Bien que la loi « anti-torture » consacre l’irrecevabilité des aveux obtenus sous la torture, le Comité s’est inquiété du manque d’expertise médico-légale et de l’absence de moyen pour rendre effective cette obligation. A titre d’exemple, il n’existe qu’un seul médecin légiste dans le pays.
Peine de mort et châtiments corporels
Le Code pénal comporte des sanctions corporelles proscrites par le droit international et assimilables à la torture. A cet effet, le Comité a demandé à la Mauritanie d’abroger les peines criminelles prévoyant la lapidation publique, la flagellation et l’amputation. Bien qu’il existe un moratoire de facto sur l’application de la peine de mort et des peines corporelles, le Comité demeure préoccupé par leur persistance dans la législation et leur possible application future.
Le Comité s’est également fait l’écho de l’adoption par l’assemblée nationale d’une loi conduisant à un durcissement des peines prévues en matière de blasphème et d'apostasie. Les personnes reconnues coupables sont désormais systématiquement passibles de la peine de mort.
Cette réforme est directement liée aux poursuites judiciaires à l’encontre du blogueur Mohamed Cheikh Ould Mkhaïtir. Il avait été condamné à mort en 2014 par la cour criminelle de Nouadhibou après avoir publié sur Facebook un texte jugé « blasphématoire » dans lequel il a dénoncé le recours à la religion pour justifier des pratiques discriminatoires à l’égard de la caste des forgerons.
Le 9 novembre 2017, sa peine avait ensuite été ramenée en appel à deux ans de prison. En dépit de cette décision, il reste détenu au secret. Les autorités mauritaniennes ont informé le Comité qu’il était « en détention administrative pour sa propre sécurité ».
Surpopulation et insalubrité dans les prisons
Durant la session, les membres du Comité ont demandé des clarifications à l’Etat partie concernant les mesures prises ou envisagées afin de lutter contre le problème de surpopulation carcérale. Le chef de la délégation avait affirmé qu’entre février 2016 et mai 2018, le taux de surpopulation était passé de plus de 285 % à 180 % à la prison de Dar Naïm à Nouakchott, et que le budget alloué à la nourriture, à la santé et à l’hygiène dans les prisons allait être augmenté de 15%. Ces mesures semblent toutefois insuffisantes au regard du niveau d’insalubrité qui perdure dans les prisons.
Par ailleurs, il semble que les autorités aient tenté de résoudre le problème de la surpopulation carcérale à travers des transferts de détenus dans des centres de détentions se trouvant dans le désert. Ces prisons demeurent inaccessibles aux familles de détenus en raison de la distance et des difficultés de transport. Le Comité a ainsi recommandé de recourir à des mesures d’aménagement des peines afin de lutter contre la surpopulation carcérale.
Impunité des crimes commis contre les minorités noires
Les violations commises contre des officiers afro-mauritaniens accusés par les autorités de préparer un coup d'État n’ont jamais fait l’objet d’enquêtes exhaustives, indépendantes et impartiales. Les auteurs d’actes de torture, de disparitions forcées et d'exécutions extrajudiciaires commises à la fin des années 1980 et au début des années 1990 ont été amnistiés par la Loi n°93-23 du 14 juin 1993.
Les autorités ne nient pas l’existence de ces violations graves, communément désignées sous le vocable de « passif humanitaire ». Toutefois, les victimes, leurs ayants-droit et les activistes dénonçant l’impunité et exigeant des enquêtes et poursuites font régulièrement l’objet de représailles de la part des autorités, comme l’a remarqué le Comité dans ses observations finales.
Ce dernier a ainsi recommandé à l’Etat partie d’amender la loi d’amnistie de 1993, celle-ci étant incompatible avec le principe de l’imprescriptibilité des actes de torture consacré par la Convention et la loi contre la torture de 2015.
Absence d’indépendance de la CNDH et du MNP
Durant les débats, le Comité a également insisté sur le manque d’indépendance de la Commission nationale des droits de l'Homme (CNDH), l’Institution nationale des droits de l’homme mauritanienne, ainsi que du Mécanisme national de prévention (MNP).
En conséquence, le Comité a encouragé la CNDH à promouvoir le respect de tous les droits humains, en toutes circonstances, ce qui n’avait pas été le cas dans l’affaire Mohamed Mkhaïtir. A propos du MNP, le Comité a recommandé à l’Etat partie de prendre des mesures afin de garantir à l’institution une véritable autonomie opérationnelle et budgétaire pour s’acquitter efficacement de son mandat, celui-ci comprenant des visites régulières et inopinées des lieux de détention.
Les prochaines étapes
La mise en œuvre des recommandations du Comité contre la torture par la Mauritanie devra être suivie avec attention par les membres de la société civile nationale et internationale. Dans le cadre de sa procédure de suivi, le Comité a demandé aux autorités de lui fournir, d’ici une année au plus tard, des informations sur les mesures prises pour poursuivre et punir les auteurs d’actes de torture et de mauvais traitements, renforcer le Mécanisme national de prévention de la torture et enfin libérer les défenseurs des droits humains qui sont en détention arbitraire, tels que les membres de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA).
A propos de cette dernière recommandation, Alkarama a appris avec inquiétude l’arrestation du président de l’IRA le 7 août 2018 et appelle à sa libération immédiate et au respect de ses droits fondamentaux.
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