Atteintes à la liberté d'expression, manque d'indépendance de la justice, et pratique du refoulement vers des pays tortionnaires
Le Qatar sera examiné pour la seconde fois dans le cadre de l'Examen périodique universel par le Conseil des droits de l'homme en mai 2014. En vue de cet examen, Alkarama a présenté une contribution en juillet dernier pour présenter la situation des droits de l'homme actuelle et exposer nos principaux sujets de préoccupation en la matière, à savoir les atteintes à la liberté d'association et d'expression, le manque d'indépendance de l'appareil judiciaire, la violation du principe d'égalité de traitement des citoyens, la pratique du refoulement vers des pays pratiquant la torture ainsi que la question des travailleurs migrants.
Atteintes à la liberté d'expression et d'association
Si les violations du droit à la liberté d'expression et d'association au cours des dernières années sont moins nombreuses que celles observées dans les pays voisins, elles demeurent toutefois préoccupantes.
Les partis politiques ne sont toujours pas autorisés et, si certaines associations à caractère professionnel ou social sont agréées, le processus administratif prévu par la loi en vue de l'obtention de l'agrément obligatoire délivré par le Ministère du travail et des affaires sociales reste dissuasif de sorte que, dans la pratique, la liberté d'association n'est pas garantie.
Alors que le pays semble avoir créé un espace relativement favorable aux médias , l'affaire du poète Mohammed Al Ajami, dit Ibn al Dhib, condamné dans une affaire de diffamation contre la personne de l'émir, vient égratigner l'image d'un pays respectueux de la liberté d'opinion et d'expression. Ce poète de 37 ans a été arrêté et jugé pour « incitation au renversement du régime », après la rédaction d'un poème dans lequel il rend hommage à la révolution tunisienne et critique les abus de pouvoir du gouvernement. Ce poème lui a valu d'être condamné à la prison à perpétuité, peine qui a ramenée à 15 ans de privation de liberté suite au jugement sur appel.
Manque d'indépendance du système judiciaire
La question de l'indépendance de la magistrature au Qatar reste entière en raison notamment du statut d'une partie du personnel judiciaire composé de non-nationaux contractuels. Ces derniers, originaires généralement de pays arabes, sont directement nommés par le pouvoir exécutif et titulaires d'un contrat de travail à durée limitée. Leur statut de résidence peut constituer une limite sérieuse à leur indépendance et ne leur permet pas d'exercer leur fonction de manière sereine. Le principe de l'inamovibilité du juge, essentiel à l'indépendance du système judiciaire, ne peut dans ces conditions être garanti.
Par ailleurs les membres du Conseil supérieur de la magistrature, institué en 1999, sont nommés ou révoqués par l'Emir, ce qui va clairement à l'encontre même de l'objectif proclamé de cette institution qui serait de garantir l'indépendance de la justice.
Inégalité de traitement des citoyens
L'article 34 de la Constitution du Qatar garantit l'égalité de traitement des citoyens. Cependant, en vertu de l'art.12 in fine du code régissant la nationalité (Loi No 38/2005), les personnes naturalisées jouissent de moins de protection puisque la nationalité qatarie peut leur être retirée à tout moment sur simple proposition du ministre de l'Intérieur s'il estime cette mesure conforme à l'intérêt général. L'inégalité des citoyens qataris d'origine et naturalisés est d'ailleurs instituée par la loi, puisque ces derniers ne jouissent pas des mêmes droits politiques que les nationaux d'origine, quelque soit l'ancienneté de leur naturalisation ; ils ne peuvent notamment être ni électeurs, ni éligibles.
Pratique du refoulement vers des pays pratiquant la torture
Si le Qatar a incorporé dans sa législation interne la définition de la torture telle que prévue dans la Convention contre la torture ainsi que d'autres dispositions légales de nature à lutter contre l'impunité, Alkarama reste préoccupée par l'absence de dispositions légales interdisant expressément l'expulsion, le refoulement ou l'extradition d'une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture comme stipulé à l'article 3 de la Convention ainsi que par l'absence d'une procédure de recours effective à la disposition des personnes susceptibles de faire l'objet de telles mesures.
Le cas d'Awad Muhamad Awad Al Hiqi, citoyen yéménite né le 23 mars 1979 est exemplaire de cette violation de l'article 3. Imam d'une mosquée à Doha, Al Hiqqi a été convoqué par la police à Doha le 18 octobre 2010 afin d'être interrogé. La police lui signifie qu'il est en état d'arrestation au motif qu'il est recherché par les autorités saoudiennes. Il est alors extradé vers l'Arabie Saoudite sans qu'il ne lui soit notifié la possibilité légale de recourir contre cette décision et sa famille est renvoyée au Yémen. M. Al Hiqi est encore actuellement détenu en Arabie Saoudite, où, comme nous le craignions, il a été gravement torture
Les travailleurs migrants victimes de l'arbitraire du système de sponsoring
Le sponsoring maintient les travailleurs sous l'autorité d'un garant (sponsor), qui est en général leur employeur. Le sponsor a le pouvoir d'empêcher le travailleur sous son autorité de quitter le pays et peut révoquer son autorisation de séjour et de travail sur le territoire qatari. De nombreux cas de violation de la liberté de circulation de ces travailleurs ont été soumis à Alkarama, notamment caractérisés par le refus du sponsor de délivrer un permis de sortie au travailleur migrant. En vertu de cette disposition, les sponsors ne sont nullement tenus de motiver leur refus, confirmant ainsi le caractère souvent arbitraire de ce type de décision.
Dans le cadre de cette contribution à l'examen du Qatar, Alkarama a émis les recommandations suivantes :
1. Instaurer des réformes politiques dans le sens d'une participation effective de tous les citoyens dans la vie publique du pays et d'une gestion transparente des ressources nationales. Procéder aux élections au suffrage universel pour désigner les 2/3 des membres éligibles du conseil consultatif comme prévu par la constitution qatarie de 2005.
2. Garantir et assurer en droit et en fait l'égalité de traitement de tous les citoyens sans exception et mettre la législation nationale en conformité avec l'article 34 de la Constitution. Faire bénéficier tous les détenus des mêmes mesures de grâce en procédant à leur libération.
3. Consacrer le principe de l'inamovibilité des juges en l'étendant à tous les magistrats du pays, y compris les magistrats étrangers sous contrat, pour assurer une réelle autonomie de la justice.
4. Envisager de ratifier le Pacte International relatif aux droits civils et politiques.
5. Lever les réserves relatives aux articles 21 et 22 de la convention contre la torture et envisager de ratifier le Protocole optionnel (OPCAT).