Un mois après le début de la révolution tunisienne qui a mis fin aux vingt-trois ans de règne de Ben Ali au prix d’une centaine de morts, la transition démocratique reste fragile. Alkarama recueille actuellement des informations sur les violations des droits de l’homme commises au cours des dernières semaines pour les soumettre aux procédures spéciales des Nations unies et appelle les autorités tunisiennes à respecter les droits de l'homme.
« Je n'arrive pas à y croire! Pour la première fois depuis 23 ans, le portrait de Ben Ali ne fait pas la une des quotidiens tunisiens mais celle des journaux internationaux!», plaisantait aujourd'hui un jeune tunisien sur les réseaux sociaux de la toile. A l'instar de ce jeune tunisien, le peuple tunisien respire à nouveau le parfum de la liberté dont il avait fini par oublier la douce odeur, étouffé par 23 ans de dictature policière. Aux quatre coins du Monde arabe, de Sanaa à Rabat, les « frères » du peuple tunisien ont suivi minute par minute avec envie, espoir et surprise, les rebondissements de ce spectacle inédit de la chute en direct d'un dictateur dans le Monde arabe à travers les chaînes satellitaires et les réseaux sociaux. Spectacle inédit car, pour la première fois dans l'histoire récente du Maghreb et du Proche-Orient, un chef d'Etat est contraint d'abandonner son « trône » et de fuir le pays par la volonté massive d'un peuple.
Il y a un mois, le 17 décembre 2010, Mohamed Bouazizi, jeune universitaire au chômage de Sidi Bouzid, réduit à être marchand de fruits et légumes pour subvenir aux besoins de sa famille, s'immolait après que des agents municipaux lui ont confisqué son étal. Ce geste désespéré, symbole de l'exaspération d'une importante partie de la population face à des conditions de vie précaires et au chômage, a provoqué l'indignation de toute la population et a plongé le pays dans une vague de protestations d'ampleur nationale sans précédent qui a conduit à la fuite de l'ex-président et à la chute d'un régime dictatorial le 14 janvier 2010.
Ce qui n'était initialement qu'une révolte populaire avec des revendications économiques et sociales circonscrite aux régions défavorisées du pays s’est vite transformée en un mouvement politique plus large qui s'est propagé dans tout le pays. La révolte a commencé à Sidi Bouzid lorsque des commerçants et des jeunes se sont rassemblés pour manifester en solidarité avec Bouazizi.
La situation a rapidement dégénéré après que la police a tenté de disperser les manifestants et les premiers affrontements entre services de la sécurité et la population ont eu lieu. A la fin du mois de décembre 2010, le mouvement populaire a gagné de l’ampleur : d'une part, les mouvements de protestation se sont étendus à plusieurs villes du pays comme Menzel Bouzaiane, Monastir, Sbikha, Chebba et enfin Tunis; d'autre part, le mouvement populaire a été largement relayé par les organisations syndicales et les partis politiques sans oublier la jeunesse bloggeuse tunisienne qui n'a pas manqué de jouer un rôle fondamental dans l'exposition médiatique du mouvement de protestations par l'usage des réseaux sociaux de la toile. Car la révolution s’est certes jouée dans les rues du pays mais également sur l’Internet et les médias qui ont servi à mobiliser une partie importante de la population dans des étapes décisives. L'annonce de la mort de Mohamed Bouazizi le 4 janvier 2011 a achevé d'embraser le peuple tunisien. Les manifestations se sont multipliées dans les villes de Thala, Kasserine, Regueb et ont fini par gagner largement la capitale et sa banlieue.
La révolution du peuple tunisien dure maintenant depuis plus d'un mois et s'est soldée à ce jour par le décès d'au moins quatre-vingt-dix civils, tués au cours de manifestations ou de marches funèbres sous les coups ou les balles des policiers et des snipers et par la mise en détention arbitraire de dizaines de militants, blogueurs, opposants politiques ou simples citoyens venus manifester.
Le 17 janvier 2011, Mohamed Ghannouchi, premier ministre tunisien annonçait la composition du « gouvernement d'unité nationale », dans l'attente de l'organisation de nouvelles élections. Vingt-quatre heures après leur nomination les premiers ministres démissionnaient déjà alors qu'à Tunis et dans des villes au centre du pays des milliers de Tunisiens sont sortis dans la rue pour manifester leur mécontentement contre l’omniprésence du RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique-parti de l’ancien président) dans le « nouveau » gouvernement.
Alors que le dernier acte de la révolution tunisienne ne semble pas être encore joué et que la situation politique en Tunisie reste instable, Alkarama appelle les autorités tunisiennes à :
- Se garder de faire un usage excessif de la force lors des manifestations et de respecter les droits fondamentaux de ses citoyens, conformément à leurs obligations internationales.
- Libérer tous les prisonniers d'opinion y compris ceux condamnés sous prétexte de terrorisme.
- Ouvrir une enquête sur les circonstances de la mort de toutes les personnes décédées lors des manifestations de ces dernières semaines suite à l'intervention des services de sécurité et de poursuivre les responsables de ces exactions.
- Publier une liste nominative de toutes les personnes qui ont été /sont toujours arbitrairement détenues suite aux manifestations.