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البحيري والعكرمي

Le 12 avril 2023, Alkarama, l’Association tunisienne des victimes de la torture (AVTT) et Maitre Kilani Abdarrazak, avocat de M. Noureddine BHIRI se sont adressés à la Rapporteuse spéciale de l’ONU sur la torture concernant la situation de M. Bechir AKREMI, magistrat tunisien et M. Noureddine BHIRI, avocat et ancien ministre de la Justice, tous deux victimes de torture au cours de leur arrestation et/ou détention par la police.

Arrestation et détention de M. Bechir Akremi

Le 12 février 2023 à 17 heures, une dizaine de véhicules appartenant aux services de sécurité ont encerclé le domicile de M. Bechir AKREMI. Une vingtaine de policiers appartenant à la brigade anti-terroriste en tenue civile sont descendus des véhicules et ont investi son domicile.

M. AKREMI a été arrêté sans mandat de justice et sans qu’il ne lui soit notifié les motifs de son arrestation. Il a ensuite été conduit dans leurs locaux.

Alertés de cette arrestation les avocats de M. AKREMI se sont rendus au tribunal de première instance de Tunis vers 20 heures 30 puis à la caserne El Gorjani pour s’enquérir de son sort mais aucune information ne leur a été communiquée par la police.

Le lendemain, les avocats se sont rendus à la caserne de Bouchoucha où ils ont appris qu’il faisait l’objet d’une plainte déposée par deux membres de la brigade anti-terroriste de la police, auteurs d’actes de tortures que le magistrat avait dénoncé précédemment au ministère de l’Intérieur ; ces deux policiers avaient mené l’enquête préliminaire dans l’affaire de l’attentat terroriste ayant visé́ le musée du Bardo à Tunis le 18 mars 2015 et avaient, dans ce cadre, gravement torturé plusieurs prévenus.

M. AKREMI qui était alors chargé de l’instruction de l’affaire en sa qualité de juge d’instruction avait constaté les tortures subies par ces victimes et avait soumis un rapport au ministère de l’Intérieur réclamant des sanctions à l’égard des policiers. Ces dénonciations lui avaient alors valu une hostilité ouverte des syndicats de police et dans les rangs des services de sécurité.

Le 17 février 2023, alors que les avocats du magistrat s’attendaient à ce qu’il soit libéré en raison de l’expiration des délais de détention en garde à vue, ce dernier a été interné contre son gré au service psychiatrique de l’Hôpital Razi de La Manouba suite, selon le procureur, à « un rapport médical établi par plusieurs médecins spécialistes en psychiatrie ».

Alors que la famille de M. AKREMI a été autorisée à lui rendre visite à l’hôpital, ses avocats ont été interdits d’y accéder sur ordre de la police, interdiction confirmée par la suite par une décision du juge du tribunal de première instance de Tunis.

Lors de la visite de son épouse, M. AKREMI a témoigné avoir été torturé par privation de sommeil plusieurs nuits consécutives au cours de sa garde à vue. Il a expliqué avoir été réveillé par les policiers à chaque fois qu’il s’endormait au point que ces perturbations l’avaient plongé dans un état d’anxiété et de stress intense.

Le 25 février 2023, à l’issue des démarches pour sa sortie d’hôpital et alors que sa famille et ses avocats l’attendaient, une vingtaine de membres de la brigade antiterroriste arrivés à bord de véhicules de police ont encerclé le service de psychiatrie et ont de nouveau arrêté M. AKREMI au prétexte qu’il devait être « immédiatement auditionné dans le cadre d’une autre affaire ». Il a de nouveau été ramené à la caserne de Bouchoucha, siège de la brigade.

Déféré à l’issue d’une nouvelle période de garde à vue devant le juge d’instruction du pôle antiterroriste, il a alors fait l’objet d’un mandat de dépôt au prétexte de l’existence d’une autre plainte déposée contre lui par le « Parti unifié des patriotes démocrates » proche du président Kaïs Saïed.

Le parti en question accusant encore une fois et après maintes autres plaintes précédentes classées en raison de leur inconsistance, M. AKREMI d’avoir « dissimulé des éléments de preuve » dans l’affaire de l’assassinat de son secrétaire général, M. Chokri Belaïd.

Arrestation et détention de M. Noureddine BHIRI

Dans la nuit du 13 février 2023, plusieurs véhicules de police ont encerclé le domicile de M. BHIRI. Une dizaine d’agents sont descendus des véhicules et ont investi les lieux pour procéder à une perquisition. Un certain nombre d’effets personnels lui appartenant ainsi que les téléphones portables des différents membres de sa famille ont été confisqués.

Bien qu’il n’ait opposé aucune résistance, les agents l’ont projeté à terre et violemment battu sous le regard de son épouse et de ses enfants qu’ils ont également brutalisé. M. BHIRI a alors été embarqué sans ménagement dans l’un des véhicules de police et emmené à la caserne de Bouchoucha siège de la brigade antiterroriste.

En raison de la gravité de son état, un médecin a été requis pour l’examiner lequel a prescrit son évacuation urgente à l’hôpital en raison de ses blessures. Cependant, et en dépit de la demande du médecin, M. BHIRI n’a pas été hospitalisé et a été maintenu en garde à vue.

Le lendemain à 16 heures, il a été présenté au juge d’instruction du tribunal de Tunis, qui ne pouvait pas manquer de constater son état et ses blessures. Là encore, bien que M. BHIRI ait déclaré au procureur avoir été battu par la police et souffrir de douleurs intenses, il n’a pas été autorisé à recevoir de soins et a été immédiatement placé sous mandat de dépôt sous prétexte de « déclarations et diffusions de posts sur les réseaux sociaux contre le coup d’État ».

Le 15 février 2023, son épouse s’est rendue à la caserne de Bouchoucha pour lui rendre visite mais a appris qu’il avait déjà été emmené à la prison de Mornaguia où elle s’est rendue et a été informée qu’à l’issue d’un examen médical d’entrée son mari a été transféré en urgence à l’hôpital Charles Nicole où il a dû subir une opération chirurgicale.

Le 18 février 2023, dès le lendemain de l’intervention chirurgicale et alors même que son état de santé nécessitait toujours une prise en charge hospitalière, M. BHIRI a été ramené par la police, et contre l’avis des médecins, à la prison de Mornaguia.

La Rapporteuse spéciale sur la torture, saisie par les représentants des victimes

Dans leur communication, les représentants des victimes ont souligné l’hostilité des forces de police à l’égard de MM. AKREMI et BHIRI et ont indiqué que les traitements qu’ils ont tous deux subis sont constitutifs de « torture » au sens de la Convention contre la torture ratifiée par la Tunisie en 1988. MM. AKREMI et BHIRI, comme l’ensemble des détenus politiques arrêtés au cours des derniers mois, font partie des personnalités respectées en tant que défenseurs de la démocratie et de l’État de droit en Tunisie.

L’ensemble de ces personnalités, issues de différents partis et courants politiques, se rejoignent dans leur opposition au coup d’état du 25 juillet 2021 et sont ainsi devenus la cible privilégiée du président Kais Saied qui s’est arrogé les pleins pouvoirs en violation de la constitution du pays.

Il est nécessaire de souligner qu’à la suite de sa sortie libre de l’hôpital M. AKREMI a été ré arrêté par la police et reconduit à la caserne de Bouchoucha sous prétexte d’une audition dans le cadre d’une autre affaire qui avait pourtant été classée définitivement et conclue par un non-lieu depuis plusieurs années.

Quant à M. BHIRI, il s’agit de sa deuxième arrestation en moins d’un an. Le 31 décembre 2021, il avait déjà fait l’objet d’une violente agression par la police à la suite de laquelle il avait dû être hospitalisé au service de réanimation de l’hôpital Bougatfa de Bizerte. Il avait finalement été libéré le 7 mars 2022, sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui.

Au cours du dernier examen périodique de la Tunisie, le Comité de l’ONU contre la torture avait exprimé ses préoccupations concernant l’existence d’« informations concordantes indiquant que la pratique de la torture et des mauvais traitements reste présente dans le secteur de la sécurité (…) pratiquée en particulier par des agents de la police et de la garde nationale pendant la garde à vue (…)».

Les circonstances autour de l’arrestation de MM. AKREMI et BHIRI montrent que sept ans plus tard, ces pratiques s’aggravent et tendent à redevenir la norme rappelant les graves dérives du passé.

Pour ces raisons, les représentants des deux victimes se sont adressés aux procédures spéciales de l’ONU pour enjoindre aux autorités tunisiennes à libérer immédiatement MM. Bechir AKREMI et. Noureddine BHIRI et à s’abstenir de tout acte de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants à leur encontre.