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yousri daly

Le 15 septembre 2021, l’Association des victimes de la torture en Tunisie (AVTT) et Alkarama se sont adressés au Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire concernant la situation de l’ex ministre des Technologies de l'information et de l'Économie numérique, M. Anouar MAAROUF, et du député et président de la commission parlementaire de Défense, M. Yousri DALY, respectivement assignés à résidence depuis le 05 et 18 août 2021.

Le 25 juillet 2021, le président tunisien, Kaïs Saïed a révoqué le chef du gouvernement, suspendu toutes les activités du Parlement et levé l’immunité des parlementaires sur un fondement erroné de l’article 80 de la Constitution1. Toujours en violation de la Constitution, il a annoncé qu’il assumerait la totalité des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire avec l’aide d’un chef de gouvernement et de ministres qu’il nommerait personnellement.

S’en est alors suivie une série de violations aux libertés individuelles et collectives et notamment d’arrestations arbitraires et d’assignations illégales à résidence de députés et de hauts responsables, dont des magistrats et des responsables politiques. Les révocations sur simple décision présidentielle se sont multipliées et se poursuivent depuis le 25 juillet, touchant nombre de hauts responsables de l’administration et de la justice dont certains ont été assignés à résidence sur simple décision administrative.

 1. M. Anouar MAAROUF, ancien ministre illégalement assigné à résidence

M. Maarouf a rapporté que son domicile a été encerclé par plusieurs policiers le jeudi 5 août 2021 aux alentours de 21h00 et qu’il a ensuite été emmené contre son gré au commissariat de Carthage (nord-est Tunis).
Il a précisé avoir été conduit dans le bureau de la cheffe du poste de police qui lui a alors annoncé la décision du « chargé de mission du ministère de l’Intérieur » faisant office de ministre de l’Intérieur, M. Ridha GHARSELLAOUI, de le placer en résidence surveillée jusqu’à la fin de l’état d’urgence sans en indiquer les motifs. La cheffe de police a refusé de lui fournir une copie écrite de la décision malgré son insistance.
M. Maarouf a également fait savoir que la décision de placement n’était pas motivée et se contentait uniquement de mentionner un vague fondement juridique de cette mesure et les sanctions auxquelles il s’exposerait en cas d’une éventuelle violation. Les jours suivants, les avocats de M. Maarouf se sont rendus au poste de police afin d’obtenir une copie écrite de la décision mais se sont trouvés confrontés au refus catégorique des policiers.  
Depuis son assignation à résidence, son domicile est continuellement surveillé par une vingtaine de policiers. Les membres de sa famille font également l’objet de contrôles sévères bien qu’ils ne soient pas concernés par la décision d’assignation.
Enfin, M. Maarouf a pris l’initiative de déposer une plainte pénale contre le « chargé de mission du ministère de l’Intérieur », en date du 06 août 2021, pour avoir ordonné son placement en détention en l’absence de toute décision judiciaire sur le fondement de l’article 250 du Code pénal tunisien2 qui réprime l’arrestation, la détention ou la séquestration illégale.
Le 12 août 2021, il a également formé un recours en annulation de la décision d’assignation à résidence auprès du tribunal administratif de Tunis. Cependant, il est interdit de se rendre au tribunal et ignore le sort réservé à ce recours.

2. M. Yousri DALY, député assigné illégalement à résidence

Le 18 août 2021, M. Yousri DALY, a de son côté été convoqué au district de la police d’Al Marsa (nord-est, Tunis). Il a témoigné s’être rendu de lui-même au bureau du chef du district qui lui a alors notifié la décision n°503, en date du 16 août 2021 prise par le « chargé de mission du ministère de l’Intérieur » faisant office de ministre de l’Intérieur, M. Ridha GHARSELLAOUI, de le placer en résidence surveillée jusqu’à la fin de l’état d’urgence entré en vigueur le 26 décembre 2020 et prolongé de six mois par décret présidentiel n°2021-67 en date du 23 juillet 2021.
Malgré ses demandes répétées, la police a refusé de lui délivrer une copie écrite de la décision émise par le « chargé de mission ». M. Daly a rapporté avoir seulement été autorisé à lire la décision qui mentionnait, en l’absence de toute motivation, son placement en résidence surveillée sur le fondement du décret n° 78-50 du 26 janvier 1978, réglementant l'état d'urgence.
Depuis, il est assigné à résidence à l’adresse qui figure sur sa pièce d’identité et qui correspond en fait au domicile de sa mère alors qu’il réside habituellement avec sa femme et ses enfants dans un autre quartier de la ville.
Enfin, il a annoncé avoir formé un recours aux fins d’annulation de la décision illégale d’assignation auprès du tribunal administratif de Tunis en date du 24 août 2021. N’ayant, pu constituer un avocat il a lui-même formulé ce recours dont il ne peut assurer le suivi ayant été interdit de se rendre au tribunal.

3. Le Groupe de travail saisi par Alkarama

Le 15 septembre 2021 Alkarama s’est adressé au Groupe de travail sur la détention arbitraire aux motifs que l’assignation à résidence de MM. Maarouf et Daly, est contraire à la législation interne et aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié par la Tunisie le 18 mars 1969.

En effet, l’assignation de MM. Maarouf et Daly n’a pas été prononcée par le ministre de l’Intérieur tel que le dispose l’article 5 du décret n° 78-50 du 26 janvier 1978, réglementant l’état d’urgence, selon lequel seul ce dernier est compétent pour ordonner un placement à domicile pour des personnes « dont l'activité s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre publics ». De plus, l’article 49 de la Constitution tunisienne précise que les libertés fondamentales ne peuvent être restreintes qu’à travers les lois et à la seule condition d’un contrôle de ces limites par les autorités judiciaires.

Cependant, MM. Maarouf et Daly ont tous deux ont étés assignés à résidence jusqu’à la fin de l’état d’urgence qui est susceptible d’être prolongé, c’est-à-dire donc pour une durée illimitée et ce, sur le fondement d’une décision elle-même manifestement entachée d’illégalité. En effet, ladite décision, en plus d’être dénuée de toute motivation, mentionne uniquement le décret n° 78-50 du 26 janvier 1978, réglementant l'état d'urgence prononcé alors dans des circonstances politiques particulières -grève générale de l’UGTT réprimé dans le sang par le régime tunisien-, sans énoncer les considérations de droit et de fait qui constitueraient le fondement d’une telle décision. Or, toute décision défavorable restreignant l’exercice des libertés fondamentales se doit impérativement de comporter une motivation écrite indispensable à la vérification du bien-fondé de la mesure.

Selon le Comité des droits de l’homme de l’ONU, toutes les mesures restrictives doivent également être conformes au principe de la proportionnalité et « être appropriées pour remplir leurs fonctions de protection, elles doivent constituer le moyen le moins perturbateur parmi ceux qui pourraient permettre d'obtenir le résultat recherché et elles doivent être proportionnées à l'intérêt à protéger. »

Ainsi, si le but visé par la décision du « chargé de mission du ministère de l’Intérieur » est véritablement d’assurer le respect de l’ordre et de la sécurité́ publics, celui-ci n’explique pas dans quelle mesure les privations de liberté́ de MM. Maarouf et Daly permettent de réaliser cet objectif. La décision de placement est d’autant plus contestable que les autorités n’apportent aucun élément tangible attestant de l’existence de raisons sérieuses de penser que leurs agissements constituent une menace réelle pour la sécurité́ et l'ordre publics.

Il semblerait, eu égard à l’absence de motivation de ces mesures arbitraires de privations de liberté, que ces placements reflètent en réalité la volonté du président, Kaïs Saïed, qui concentre désormais tous les pouvoirs en violation de la Constitution, de réduire au silence des opposants politiques qui ont dénoncé un coup d’État.

L’AVTT et Alkarama ont donc invité le Groupe de travail à constater que la privation de liberté de MM. Maarouf et Daly est arbitraire et en violation tant des dispositions légales internes que des articles 9, 12 et 14 du Pacte international relatifs aux droits civils et politiques et d’enjoindre à l’État partie de prendre immédiatement les mesures nécessaires pour remédier à cette situation en les libérant sans délai.