Du 27 novembre au 5 décembre 2014, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies pour l'indépendance des juges et des avocats, Mme Gabriela Knaul a visité la Tunisie dans le but d'évaluer les réussites et les défis auxquels le pays reste encore confronté afin d'assurer l'indépendance du pouvoir judiciaire. Tout en reconnaissant les efforts déployés par la Tunisie pour l'instauration d'un État de droit, Mme Knaul a rendu un bilan mitigé concernant la situation de l'indépendance de la justice tunisienne, ne manquant pas de rappeler que la corruption fait encore partie intégrante du système judiciaire du pays.
L'adoption de la Constitution du 26 janvier 2014 constitue selon elle un « jalon historique » important dans le processus de réforme de la justice tunisienne, la reconnaissant, en vertu de la séparation des pouvoirs, comme une institution indépendante du pouvoir exécutif.
L'instance provisoire créée en mai 2013 pour remplacer le Conseil supérieur de la magistrature dirigé par l'ancien président – qui devrait rester en place jusqu'à ce que l'organe permanent prévu par la constitution soit opérationnel – se révélerait être, selon Mme Knaul, un organe indépendant doté d'une administration et d'un financement autonome.
Cependant, la Rapporteuse spéciale n'a pas manqué de rappeler que les transitions ne viennent jamais sans nouveaux défis et que la Tunisie doit en relever encore de nombreux pour se mettre en conformité avec les normes du droit international. De nombreuses règles établies par la Constitution semblent en effet rester toutes théoriques, la situation des droits de l'homme devenant de plus en plus préoccupante. Mme Gabriela Knaul a donc appelé l'Etat tunisien à adapter sa législation dans le but de mettre en œuvre les dispositions de la Constitution relative au système judiciaire, dans les délais prévus par cette dernière en affirmant que « les principes de la Constitution tunisienne doivent être traduits dans la réalité ».
Ainsi, les lois régissant le statut des juges et des procureurs doivent être réexaminées d'urgence à l'aune des normes internationales. Il est crucial, selon la Rapporteuse spéciale, de promulguer des lois « assurant les rôles distincts des juges et des procureurs afin de s'assurer d'une totale indépendance par rapport aux autres autorités étatiques ». Il semblerait en effet que les juges se considèrent encore comme des fonctionnaires relevant du Ministère de la Justice, ce qui ne saurait répondre à leur véritable vocation de magistrats indépendants.
La nomination des juges et des procureurs doit également être revue et des procédures équitables et transparentes doivent être mises sur pied. La Rapporteuse spéciale rappelle que ces procédures doivent être fondées sur la compétence et l'intégrité des candidats. Alkarama a cependant relevé plusieurs situations – tels que les cas de M. Younes et de M. Rhimi – où des magistrats, ayant eu connaissance de cas de torture avérés lors des gardes à vue de prévenus, se sont abstenus d'ordonner l'ouverture d'enquêtes pénales et de poursuivre les auteurs de ces crimes.
Mme Knaul se dit également préoccupée par la question de la détention provisoire. L'article 29 de la Constitution prévoit que toute personne placée en état d'arrestation doit être immédiatement informée de ses droits et des accusations portées contre elle, ainsi que de pouvoir constituer un avocat pour la représenter. Cependant, force est de constater que le code de procédure pénal n'autorise l'accès à un avocat qu'à l'issue de la période de garde à vue.
Alkarama, qui recense de plus en plus de cas – tel que le celui de M. Gharsallaoui – où les droits fondamentaux des prévenus sont bafoués, en particulier dans le contexte de la lutte antiterroriste, a récemment appelé les experts du Sous-comité pour la prévention de la torture à visiter le pays. En effet, les autorités semblent tolérer de plus en plus de pratiques très contestables. Ainsi, la loi relative à la lutte contre le terrorisme, autorise aujourd'hui une détention préventive de trois jours renouvelables et appliquée de manière systématique. Les suspects sont alors détenus sans possibilité de recevoir la visite d'un avocat ou de la famille, ouvrant ainsi la porte à toutes sortes d'abus – en particulier à la pratique de la torture qui semblait pourtant, au lendemain de la révolution, avoir fait l'unanimité de la classe politique concernant son éradication définitive.
Alkarama se joint donc aux inquiétudes de Mme Knaul et appelle les autorités tunisiennes à mettre sans délai son droit interne en conformité avec ses engagements internationaux en matière de droits et libertés fondamentales et d'assurer que des enquêtes impartiales et indépendantes soient engagées contre toute forme de violations, afin de faire cesser l'impunité de leurs auteurs.
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