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Frédéric Koller/Le Temps - Le rapport Goldstone sur les crimes de guerre commis par Israël et le Hamas à Gaza en début d'année a été adopté vendredi par le Conseil des droits de l'homme réuni en session extraordinaire. La résolution, objet de nombreuses tractations de couloir, a finalement été adoptée par 25 voix pour, 6 contre, 11 abstentions, alors que cinq pays dont la France et la Grande-Bretagne boycottaient le scrutin, un fait inédit, au motif que leur demande de suspension de la séance n'avait pas été prise en compte.

Même le Hamas

Cette victoire relative n'en satisfait pas moins la partie palestinienne. « C'est la première fois de son histoire que le Conseil adopte un rapport de ce type », explique Ibrahim Khraishi, l'observateur permanent de la Palestine auprès des Nations unies à Genève. Le Hamas a également salué cette résolution bien qu'il soit mis en cause pour crime de guerre par le rapport.

Les autorités israéliennes ont dénoncé une atteinte à la justice et à la paix. « L'armée israélienne a agi avec des gants de velours envers les civils innocents, a expliqué dans un communiqué le ministre de l'Intérieur, Eli Yishai. La décision du Conseil est une farce diplomatique. » Le camp du non était emmené par les Etats-Unis dont le représentant, Douglas Griffiths, a estimé que ce vote allait « exacerber la polarisation et les divisions ». Les Européens ont avancé en ordre dispersé, leurs voix se répartissant entre l'abstention, le non et le boycott. Plusieurs de leurs représentants regrettaient le vote précipité d'une résolution « politisée » par les querelles intrapalestiniennes qui ont empêché de travailler à un texte plus consensuel. Du côté du oui, on peut relever les voix de la Chine et de la Russie ainsi que du Brésil.

Si la partie du texte de la résolution se référant à la situation actuelle à Jérusalem-Est a été jugé par beaucoup partiale, il est à relever que, hormis Israël et les Etats-Unis, tous les Etats ont cette fois-ci souligné la qualité du travail d'enquête de la Commission du juge sud-africain Richard Goldstone, qui avait conclu à des crimes de guerre de la part d'Israël et des groupes combattants palestiniens. Ses recommandations, notamment celle impliquant une intervention de la Cour pénale internationale (CPI) en cas de non-fonctionnement des justices nationales au terme d'un délai de six mois, continuent par contre de susciter une grande méfiance, en particulier des Etats européens.

Veto américain au final

Quelle sera la prochaine étape ? Selon le texte de la résolution, l'Assemblée générale de l'ONU devrait examiner le rapport Goldstone durant sa session actuelle, donc peut-être dès la semaine prochaine à New York. Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, devrait pour sa part soumettre au Conseil des droits de l'homme, lors de sa prochaine session, un rapport sur l'état d'avancement des justices israélienne et palestinienne pour enquêter sur les crimes de guerre à Gaza. Un diplomate occidental souligne toutefois qu'il serait illusoire de croire que le Conseil de sécurité pourrait à terme transmettre le dossier à la CPI : « Cela mènera à une impasse, car les Etats-Unis y mettront leur veto. »

Le « petit juge » et le sens de l'Histoire »
Un commentaire de Frédéric Koller

Richard Goldstone et son rapport creusent leur sillon : celui de la justice, de la fin de l'impunité et - qui sait - peut-être un jour, au bout du chemin, celui d'une contribution à la paix. Il y a un mois, lorsque le juge juif sud-africain présentait le fruit du travail de sa commission d'enquête à Gaza concluant à des crimes de guerre israéliens et palestiniens, il savait qu'il remettait une bombe entre les mains du Conseil des droits de l'homme. Il savait également qu'il serait l'objet d'attaques personnelles, d'instrumentalisation politique et de pressions. Dans la posture du petit juge face aux puissants, il affichait une mine imperturbable, confiant et optimiste dans l'impact de son enquête. Comme un homme assuré d'être dans le sens de l'Histoire.

Vendredi, dans un vote disputé, le Conseil des droits de l'homme lui a donné raison en adoptant son texte et ses recommandations. A-t-il été diminué par les manœuvres de Palestiniens déboussolés, reportant la lecture du texte à six mois avant de le faire parapher dans l'urgence ? A peine. L'essentiel est ailleurs. Adopté par l'ONU, ce rapport devrait faire date pour plusieurs raisons : son étude de cas devrait contribuer à renforcer le Droit international humanitaire et la protection des civils face à la tentation de relativiser les Conventions de Genève au nom de la lutte contre le « terrorisme ». Il ouvre par ailleurs de nouvelles perspectives pour la justice internationale en donnant un nouveau rôle au Conseil des droits de l'homme. Autant de perspectives qui crispent habituellement les Etats soucieux de leurs prérogatives nationales. Un véritable exploit. S'il a été possible, c'est d'abord par la qualité désormais incontestée - sinon par Israël et les Etats-Unis - du travail de la Commission Goldstone. C'est bien sûr aussi le résultat d'un rapport de force politique de plus en plus défavorable à la position d'Israël. Mais faut-il s'en étonner lorsque l'on considère la poursuite de la colonisation des territoires palestiniens unanimement condamnée ?

En s'opposant au rapport Goldstone, sans explication convaincante, les Etats-Unis font fausse route. Barack Obama avait soulevé quelque espoir de changement lors de son discours du Caire. Avec Goldstone, il avait une occasion de faire intelligemment pression sur son allié. En le balayant, il renforce la frustration palestinienne, qui sera à la hauteur des espoirs déçus.

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