Enlèvements, arrestations, détentions arbitraires, menaces de mort sont le lot quotidien des journalistes yéménites qui tentent tant bien que mal de faire leur travail dans le contexte de crise actuel. Alkarama a soumis au Rapporteur spécial sur la liberté d'expression les cas de sept d'entre eux, dont deux femmes, qui ont été persécutés au cours des derniers mois pour avoir couvert des manifestations.
Abdel Ali Mohamed Abdel Mughni, 32 ans, filmait les affrontements entre les forces de sécurité et les manifestants rassemblés le 17 février 2011 pour demander le départ du président lorsque
des agents des services de sécurité se sont mis à lui tirer dessus. Il n'a pas été touché mais les agents lui ont confisqué sa caméra, l'ont placé en détention et l'ont battu.
Samia Al-Aghbari, journaliste yéménite de 29 ans, a participé aux manifestations pacifiques du 13 février 2011. Au cours de ce rassemblement, elle a été victime d'une tentative d'enlèvement par les forces de la sécurité centrale. Des manifestants son intervenus pour empêcher les agents de l'emmener mais Samia a été battue avec des matraques électriques; blessée elle a dû être transportée à l'hôpital.
Depuis le 5 mars 2011, Mohamed Mostafa Al Amrany, 30 ans, reçoit des menaces de mort. Il a publié récemment un article où figuraient les noms d'agents de l'Etat impliqués dans la répression au Yémen.
Khalil Ali Ahmed Al-Barah, 30 ans, a tenté de couvrir les manifestations du 11 février 2011 dans le but de publier un article sur le site web qu'il administre. Les services de sécurité l'ont arrêté, jeté dans une voiture, battu et insulté. Ils lui ont pris sa caméra et ont effacé toutes les photos.
Mohammed Ahmad Al Mohammadi, 30 ans, journaliste de télévision, a été enlevé en pleine nuit le 16 avril 2011 par des agents du Bureau du commandant de la garde républicaine (contrôlé par le fils du président). Ils lui ont proposé de travailler pour la chaîne de télévision d'Etat et lui ont demandé de travailler comme indic'. Comme il a refusé, pour le punir, les agents ont confisqué ses téléphones portable et l'ont détenu au secret au siège des services de la sécurité nationale pendant cinq jours. Il a été libéré le 21 avril 2011.
Tawakkol Abdusalam Khaled Karman, 32 ans, a été arrêtée chez elle à Sanaa le 23 janvier 2011 par les forces de sécurité yéménites, probablement par la police aux alentours de minuit. Son mari a été témoin de la scène. Les agents ont refusé de lui présenter le mandat d'arrestation qu'ils prétendaient détenir ou leur carte d'identification. Ils lui ont juste dit qu'ils l'arrêtaient pour avoir organisé des manifestations sans aucune permission. Elle a été emmenée à la prison centrale de Sanaa où elle a été interrogée pendant de longues heures. Mme Karman a été libérée le jour suivant. Depuis le 26 janvier 2011, elle reçoit des menaces de mort.
Son frère, Tariq Karman a reçu un appel téléphonique de quelqu'un se faisant passer pour le président Ali Abdallah Saleh qui lui a dit de ne pas laisser Mlle Karman sortir de la maison.
Le 26 mai 2011, Firas Mohammed Shamsan, 25 ans, était en train d'enquêter et de recueillir des informations sur les destructions causées par les forces gouvernementales dans le quartier de Hasbah à Sanaa lorsqu'un membre des forces de la sécurité centrale a tiré sur lui. Il a pu éviter les balles de justesse.
Les autorités yéménites ont persécuté ces journalistes dans le but de les empêcher de diffuser des informations sur les violations des droits de l'homme au Yémen et de restreindre leurs droits à la liberté d'expression et d'opinion.
Les agissements des autorités yéménites sont contraires à ses obligations internationales des droits de l'homme et en particulier au Pacte international relatif aux droits civils et politiques auquel le Yémen est partie. L'article 19 du Pacte stipule: "Toute personne a droit à la liberté d'expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.". Le Comité des droits de l'homme, en charge du suivi de l'application du Pacte, a déclaré: " Les Etats parties devraient mettre en oeuvre des mesures efficaces afin de protéger toute personne exerçant son droit à la liberté d'expression contre les attaques destinées à les faire taire (...) Une attaque dirigée vers une personne pour l'exercice de son droit à la liberté d'expression et d'opinion, telle que les arrestations arbitraires, la torture, les menaces et les exécutions, ne peut en aucune circonstance être compatible avec l'article 19. Les journalistes sont souvent l'objet de telles menaces, intimidations et attaques à cause de leurs activités" (cf. Commentaire général N°34, para.23, adopté en juillet 2011- http://www2.ohchr.org/english/bodies/hrc/docs/GC34.pdf)
Alkarama appelle les autorités yéménites à mettre un terme à ces mesures de répression, en particulier aux menaces de mort reçues par Mme Karman et M. Al-Amrany, et à s'assurer que les journalistes et les défenseurs des droits de l'homme puissent faire leur travail en toute liberté. Nous demandons aussi aux autorités de bien vouloir ouvrir une enquête sur ces violations dont les sept journalistes ont été victimes.
Alkarama continuera à suivre les événements au Yémen et tiendra informées les Nations unies de l'évolution de la situation, et en particulier de celle des journalistes susmentionnés.