Dans le cadre du deuxième examen périodique de la Mauritanie par le Comité contre la torture (CCT), Alkarama a soumis le 26 juin 2017 sa contribution à la Liste de questions préparée par les experts du Comité. Cette liste destinée aux autorités mauritaniennes est adoptée avant l’examen par le Comité qui aura lieu l’an prochain et concerne les points du rapport étatique sur lesquels les membres souhaitent des éclaircissements. Le document et la contribution d’Alkarama ont ainsi pour objet de faciliter le dialogue des experts avec les autorités lors de l’examen.
Après avoir analysé le rapport soumis au CCT par la Mauritanie le 20 février 2017, Alkarama s’est basée sur les informations obtenues auprès de la société civile et des plaintes envoyées au nom de victimes de violations pour proposer aux membres du Comité des questions à soulever lors du prochain examen. La contribution d’Alkarama propose un total de 25 questions touchant à différents sujets[RN2] .
Absence de mise en œuvre effective de la nouvelle loi sur la torture
Si la Loi n°2015-033 prévoit de nombreuses garanties et dispose notamment que le droit à l’accès à un avocat est garanti dès le moment de l’arrestation, ces garanties sont contredites par le Code de procédure pénale. En effet, l’article 58 du Code de procédure pénale prévoit néanmoins que l’accès à un avocat n’est possible qu’après la première prolongation de la durée initiale de la garde-à-vue et après l’accord du Procureur. Cette période peut s’étendre de 48 heures pour les infractions de droit commun à une durée de 45 jours pour les personnes soupçonnées de terrorisme. Toutefois, la Loi n°2015-033 ne précise pas si ses dispositions priment sur les articles du Code de procédure pénale et de la loi antiterroriste applicables au régime de la garde-à-vue.
Le Rapporteur spécial sur la torture avait par ailleurs soulevé dans son rapport de visite du pays effectuée début 2016, que « bien que la nouvelle loi fût en vigueur depuis plusieurs mois, les procureurs, les magistrats et les policiers semblaient continuer d’appliquer les anciennes dispositions, soit par ignorance de la nouvelle loi, soit en raison d’idées fausses sur son application ». Alkarama a ainsi demandé si les autorités considéraient bien que la nouvelle loi primait sur les articles du Code de procédure pénale et si des mesures avaient été prises pour s’assurer que les agents de l’État respectent bien cette primauté.
Les représailles contre les militants des droits de l’homme
Ceci est d’autant plus préoccupant qu’Alkarama a documenté des cas d’arrestations arbitraires et de mauvais traitements ainsi que de détention incommunicado d’activistes anti-esclavagistes en juin 2016. Dans ces cas, les forces de l’ordre n’avaient respecté aucune des garanties énumérées l’article 4 de la Loi n°2015-033. Les victimes avaient été arrêtées sans mandat, détenues au secret pendant plusieurs jours et soumises à des mauvais traitements. Les agents de sécurité avaient refusé d’informer leurs familles de leur lieu de détention. Malgré un communiqué public de plusieurs Rapporteurs spéciaux, deux de ces activistes demeurent en détention à la prison de Birmoghrein, située à 1200 kms de Nouakchott dans le désert. Alkarama a ainsi demandé si des mesures avaient été prises pour mettre fin à ces violations et accorder aux victimes leur droit à la réparation.
Les obstacles au droit au recours effectif des victimes de torture permettant l’impunité des auteurs
Si en principe les procureurs sont tenus d’enquêter d’office sur toute allégation de torture et de mauvais traitements, le nombre de plaintes faisant l’objet de poursuite est extrêmement faible. Or, ceci n’est pas dû à l’absence d’allégations mais plutôt à l’absence de suites données aux plaintes. Alkarama a ainsi proposé de demander aux autorités mauritaniennes de détailler les raisons pour lesquelles aucune suite n’a été donnée aux allégations de torture, notamment celles soulevées par les militants de l’IRA après leur arrestation l’été dernier.
L’autre problématique importante est celle des violations commises entre 1986 et 1991 contre des officiers noirs mauritaniens, accusés par le pouvoir de fomenter un coup d'État, n’ayant toujours pas fait l’objet d’enquêtes promptes indépendantes et impartiales. A ce manque d’enquête indépendante et de processus permettant de faire la lumière sur ces violations, s’ajoute une pratique inquiétante de représailles contre les victimes, leurs ayant-droits et les activistes dénonçant l’impunité et revendiquant des enquêtes et poursuites.
Le problème du manque d’indépendance de la Commission Nationale des Droits de l’Homme
Alkarama avait soumis au Sous-comité d’accréditation (SCA) de l’Alliance globale des institutions nationales des droits de l'homme, avec neuf autres organisations de la société civile locale, un rapport d’évaluation de la CNDH qui soulignait l’absence de transparence de son processus de sélection et son manque d’indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif. Par la suite, le SCA a décidé de renvoyer l’examen de la demande de ré-accréditation de la CNDH à sa seconde session de 2017. Toutefois, le SCA avait relevé que le processus de nomination et de destitution n’était pas suffisamment « ample et transparent » et ne permettait pas de sélection au mérite des membres. Le SCA avait par ailleurs souligné les préoccupations de certaines Procédures spéciales et de la société civile quant à son manque d’indépendance vis-à-vis de l’exécutif, et sa prise de position pour la peine de mort prononcé contre un activiste accusé d’apostasie. Alkarama a ainsi proposé aux experts de demander aux autorités mauritaniennes si des mesures avaient été prises pour remédier à ces insuffisances.
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